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Vincent Lagarde : «Maurice ne se donne pas les moyens d’évoluer au maximum de sa capacité»

19 avril 2017, 14:19

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Vincent Lagarde : «Maurice ne se donne pas les moyens d’évoluer au maximum de sa capacité»

Pour cet entrepreneur, les mesures incitatives qu’offre actuellement Maurice aux investisseurs étrangers ne suffiront pas à soutenir ses ambitions stratégiques dans le secteur de la production de dispositifs médicaux.

Il y a 17 ans, vous décidiez de relocaliser les activités de NATEC Medical de Boston aux États-Unis à Maurice. Quels sont les facteurs qui vous ont incité dans ce choix ? En 1999, il manquait de main d’œuvre aux États-Unis dans ce secteur. En parallèle, je voyais que le monde se globalisait ce qui a créé le besoin de nous rapprocher des marchés émergents tels que l’Inde et la Chine. Ce qui m’a attiré à Maurice est le coût intéressant de la main-d’œuvre ainsi que la stabilité politique du pays.

 Le pays était alors engagé dans un processus de libéralisation de la conduite des affaires. C’est dans le cadre d’un tel environnement qu’une entreprise de la trempe de NATEC Medical est amenée à exploiter tout le potentiel associé au secteur de la production de dispositifs médicaux. Nous en avons eu, en 2006, un aperçu de l’impact positif de mesures prises qui ont conduit à une libéralisation de ce type. Elles ont mené à un meilleur classement de Maurice à l’échelle de la Banque mondiale (NdlR: au classement du «Ease of Doing Business»).

Au dernier pointage de la Banque mondiale, le pays perdait 7 places. Y at-il eu un relâchement au niveau de cette libéralisation ?

C’est l’évidence même. Il aurait fallu continuer sur cette lancée.

Comment la poursuite des mesures déployées en 2006 aurait-elle dû être faite ?

 Cela aurait pu se faire en trois phases. D’abord, par le maintien sur une durée déterminée de ce qui a été entrepris depuis 2006. Tel n’a pas été le cas. Ensuite, on aurait pu procéder à une évaluation de la démarche pour décider de ce qu’il fallait retenir ou non. Enfin, on aurait pu instaurer une nouvelle tranche de réformes susceptibles d’améliorer notre classement par rapport aux critères du Ease of Doing Business. Je n’ai pas l’impression que cela a été fait de cette façon.

Quelle est votre diagnostic de la conjoncture économique de Maurice ?

 Maurice est quand même dans une situation appréciable par rapport à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Il est envié par bon nombre de pays. Par contre, la capacité d’évolution de Maurice est gigantesque. Il est malheureux de constater qu’il ne se donne pas les moyens de le faire.

Quels sont les facteurs qui ne permettent pas à Maurice d’exploiter son potentiel ?

C’est essentiellement l’absence d’une nouvelle série de décisions qui, à mon sens, ne sont pas difficiles à prendre. Ce sont des décisions qui devraient permettre à Maurice de progresser dans le classement du Ease of Doing Business. Si Maurice y parvient, il attirerait certainement des myriades de sociétés.

Quelles sont ces décisions ?

 Une des mesures qui a permis à Maurice d’améliorer sa performance au niveau du classement de la Banque mondiale consistait à donner toutes les facilités au Board of Investment pour le recrutement de compétences étrangères dont le pays ne disposait pas. La procédure se faisait en deux jours. Aujourd’hui, il faut compter trois semaines. De plus, même dans le cas d’un recrutement d’un cadre de très haut niveau, l’étranger doit être accompagné du directeur des ressources humaines lors de sa visite au Board of Investment. Ce qui constitue une perte de temps. C’est un retour en arrière. Nous ne sommes plus dans le même cas de figure qu’en 2006. C’est normal qu’une situation pareille contribue à des pertes des points. La formule pose des problèmes et crée des tracasseries administratives inutilement.

En quoi une perte de points sur l’échelle établie par la Banque mondiale pourrait-elle être préjudiciable à Maurice en tant que destination pour des investissements étrangers ?

Nous ne pouvons plus nous cantonner à offrir des facilités qui sont légion dans d’autres destinations. Avec une offre composée d’un taux d’impôt sur les sociétés à 15 % et le bilinguisme des habitants, nous nous plaçons plus ou moins sur la même ligne de départ que d’autres pays. Il faut donc se démarquer. Pour ce faire, l’environnement des affaires doit être innovant. Le fait d’accueillir des étrangers d’un certain niveau n’est pas innovant. Ce n’est qu’un minimum.

Qu’est-ce qui serait innovant dans la conduite des affaires ?

Lorsque je suis arrivé en 1999 pour monter ma société, les représentants de la défunte Mauritius Export Development and Investment Authority, laMedia, sont venus me chercher à l’aéroport. Cet organisme a mis à ma disposition un membre de son personnel pendant toute la durée de mon séjour. Cela existe-t-il encore ? Je ne le pense pas. En limitant l’accès des étrangers à la propriété à l’achat d’appartements seulement, Maurice se prive de la possibilité de garder sur son sol des experts compétents qui, à la fin de leur contrat, se- raient disposés à rester à condition d’être autorisés à acheter une portion de terre et à y construire un logement. Ce sont des cadres qui sont relativement bien payés, qui sont disposés à dépenser leur revenu dans le pays, qui vont payer leurs impôts et qui vont continuer à transmettre leur savoir-faire aux Mauriciens. Le drame est que lorsqu’ils partent à la fin de leur contrat, les entreprises qui les ont employés sont obligés d’avoir recours à de nouveaux cadres.

Parlons de la fabrication et de l’exportation de dispositifs médicaux, l’activité principale de NATEC Medical. Quels sont les principaux axes de développement de ce secteur qui lui a valu d’être mentionné à la National Export Strategy ?

 C’est un sujet qui, depuis des années, est à l’ordre du jour des discussions au niveau des gouvernements, y compris le dernier, et des décideurs politiques et économiques. Ils se sont rendu compte que le statut quo n’était plus une option et que l’élaboration de nouvelles orientations était indispensable. Notre groupe est convaincu du potentiel de Maurice à devenir un acteur de premier plan sur le marché de la production et de l’exportation de dispositifs médicaux. Maurice a le potentiel de devenir l’Irlande de la region.

Pourquoi l’Irlande ?

C’est pour mettre en évidence le potentiel des dispositifs médicaux. Il y a 30 ans, l’Irlande était le pays le plus pauvre d’Europe. Pour son développement, elle doit choisir entre l’industrie de la puce électronique et l’industrie de la production de dispositifs médicaux. L’Irlande va finalement opter pour la seconde. Le pays va dérouler le tapis rouge devant les industriels de ce secteur avec, entre autres, un taux d’imposition à 12,5 %, soit moins que celui qui est en vigueur à Maurice. Aujourd’hui, l’Irlande s’est fait une réputation mondiale dans le domaine de la fabrication de dispositifs médicaux. Et le salaire médian irlandais est de 2 830 euros, le premier en Europe ! Il n’y a pas de mal à aller voir ce qui se passe ailleurs. On ne doit pas tout inventer. Si Maurice veut attirer les industriels de ce secteur, il faut faire comme l’Irlande et mettre en place des mesures incitatives, telles que des crédits d’impôt pour la recherche par exemple. De nouveaux produits sont développés à Maurice et cela nécessite beaucoup d’investissement.

Comment y parvenir lorsque Mauritas, l’organisme accréditeur de Maurice, n’a pas de reconnaissance mondiale ?

La solution serait de créer un organisme qui chapeauterait le Mauritius Standards Bureau et Mauritas. L’absence d’un organisme d’accréditation reconnu sur le plan mondial est un gros handicap pour le développement futur de cette industrie. Maurice manque de ressources et de structures. Nous sommes prêts à aider le gouvernement de Maurice dans ce domaine. Le problème se pose aussi au niveau de la protection des marques et des brevets. Maurice n’étant pas signataire de la Convention de Madrid, il faut aller à l’étranger pour protéger notre marque. C’est ce qui nous a poussés à créer une structure, NATEC India, pour protéger nos marques à partir de l’Inde.

Les barrières non-tarifaires vous donnent-elles du souci ?

 Le manque de réciprocité entre l’Inde et Maurice est un souci. Une entreprise basée en Inde qui fabrique des dispositifs médicaux et les exporte vers Maurice ne paie pas de taxes douanières. En revanche, une entreprise basée à Maurice qui exporte les mêmes produits en Inde est, pour sa part, frappée d’une taxe douanière de 15 %. Aucune suite n’a été donnée à notre demande pour la réciprocité entre l’Inde et Maurice dans ce domaine. Les barrières non-tarifaires peuvent être réglées par le biais d’une procédure de réciprocité préconisée dans le cadre de protocoles d’entente non seulement avec l’Inde, en ce qui nous concerne, mais aussi avec d’autres pays avec lesquels nous avons des échanges commerciaux.

Contexte 

Secteur prioritaire

Le document intitulé «National Export Strategy» présente la stratégie pour promouvoir les activités d’exportation de Maurice. Il consacre un chapitre aux perspectives de développement de la filière de la production et de l’exportation de dispositifs médicaux. Ce secteur compte déjà une dizaine de sociétés. Pour permettre l’émergence d’un pilier économique autour de cette activité, les axes d’intervention suivants ont été proposés :

L’établissement de l’encadrement réglementaire devant servir de point de départ au lancement de l’industrie consacrée exclusivement aux dispositifs médicaux.

• L’institution d’un comité de pilotage dont le rôle consiste à conseiller le gouvernement sur les mesures à prendre pour assurer le développement de l’industrie.

 • L’élaboration d’une législation qui servira de futur cadre légal à l’industrie.

 • La remise à niveau des structures existantes chargées de gérer la qualité de produits fabriqués localement.

 • L’amélioration du mode d’organisation actuel du secteur afin de favoriser plus d’intégration et de coopération.

• Le développement de talents et de compétences indispensables pour promouvoir la recherche et l’innovation.

 • Le développement d’un environnement propice à attirer des projets d’investissements étrangers.

• La recherche de nouveaux marchés et le renforcement des programmes de promotion.

La National Export Strategy est un document de travail qui résulte d’une initiative conjointe du ministère de l’Industrie, du commerce et de la protection du consommateur et de l’International Trade Centre. L’initiative a consisté à faire un diagnostic de l’économie mauricienne afin de dégager des pistes d’activités susceptibles d’accroître le potentiel d’exportation du pays. Sept secteurs ont été identifiés. Il s’agit de la transformation des produits agricoles, le développement du tourisme culturel, les services financiers, les produits de la pêche et ceux de l’aquaculture, la bijouterie, le développement de logiciels et la production de dispositifs médicaux.

 La politique nationale d’exportation va s’articuler autour de trois principaux axes. Le premier consiste à faire de l’innovation et de la valeur ajoutée, les éléments clés d’une économie basée sur l’acquisition du savoir. Le deuxième axe a pour objectif de conférer à Maurice la réputation d’un partenaire incontournable grâce, entre autres, à l’importance qu’il accorde à la nécessité de cultiver la promotion constante de l’image de marque de différents secteurs. Le troisième axe vise à développer un plan d’action qui permette de transformer en une croissance durable et inclusive toute forme de succès enregistré au niveau des exportations.