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Kevin Sew: «Reproduire Dubayy ou Singapour chez nous, nous fera perdre notre identité»

17 avril 2017, 14:27

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Kevin Sew: «Reproduire Dubayy ou Singapour chez nous, nous fera perdre notre identité»

Avec les développements immobiliers en cours et l’impact de la technologie sur ce secteur, qu’advient-il de l’architecture mauricienne ? Le point avec le nouveau président de la MAA.

Quels sont vos objectifs en tant que nouveau président ?
Je veux rassembler les architectes au sein de la MAA et recruter de nouveaux membres. L’objectif est d’être plus proche des membres de l’association, en communiquant avec eux en toute transparence. Nous voulons aussi créer plus d’événements liés à l’architecture, que ce soit pour les architectes ou pour le grand public. Ceci inclut notamment des conférences, des débats, des visites architecturales ainsi que des concours, entre autres.

Quelle est la mission de l’association ?
Officiellement, la MAA a été enregistrée le 13 juin 1960. Il faut savoir que c’est grâce à elle que le Professional Architects Council existe aujourd’hui et que nous, architectes, sommes reconnus en tant que tels. Nous regroupons la moitié des architectes du privé. Le but : promouvoir l’architecture à Maurice mais aussi à échelle internationale. En effet, la MAA est membre de l’Union internationale des architectes. Parallèlement, elle fait partie de l’Union africaine des architectes et est membre fondateur de la Commonwealth Association of Architects.

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes architectes qui rentrent au pays ne connaissent pas, ou mal, l’organisation. Je pense que c’est mon rôle d’aller vers eux et non l’inverse. Nous allons lancer un appel aux studios d’architecture pour qu’ils encouragent les jeunes architectes à rejoindre l’association. Aussi, nous envisageons de les rencontrer individuellement si possible.

Quels sont les projets de l’association ?
Nous avons l’ambition, avec mon équipe, le nouveau conseil 2017, d’organiser pour l’année 2017-2018 au moins un événement tous les deux mois pour nos membres. Ceci implique les conférences, des ateliers, etc. Nous avons prévu un atelier sur la Cybercité très bientôt.

Actuellement, plusieurs projets tels que les smart cities ou le Métro Express se dessinent dans le paysage mauricien. Que faut-il considérer en les instituant ?
Il faut que les projets de développement se dessinent et s’intègrent parfaitement dans le paysage mauricien. Il est important, selon moi, que les Mauriciens soient partie prenante des projets, évidemment à travers des professionnels comme les architectes, les urbanistes, les ingénieurs etc. Le cadre et le contexte législatifs de Maurice sont plutôt bien définis. Malheureusement, il se peut qu’on essaie de contourner justement ces règles, ou ces contraintes, qui pourtant doivent servir à la qualité des projets.

Face à ces changements, l’architecture mauricienne peut-elle perdre son identité ?
L’architecture mauricienne a une identité, oui, mais je pense qu’elle n’est pas indigène au pays. Par exemple, les hôtels mauriciens dotés de toits en chaume s’inspirent de l’architecture balinaise. Mais ceux-ci font maintenant partie intégrante de notre panorama local. Tout comme dans nos différentes cultures (hindoues, chinoises, musulmanes, etc), nos pratiques et nos coutumes ont été importées à Maurice et souvent réadaptées au contexte local. Il en va de même pour l’architecture mauricienne.

Jusqu’à cette année, il n’existait pas d’école d’architecture à Maurice et tous les architectes étaient formés à l’étranger. Chaque architecte façonne à sa manière l’architecture mauricienne. Mais le plus important est cette architecture soit adaptée au contexte. Si nous souhaitons reproduire Dubayy ou Singapour ici, il est certain que nous allons perdre notre identité. Nous devons certes observer ce qui se fait ailleurs pour nous en inspirer mais il ne faut surtout pas coller ces préceptes à l’identique ici.

Comment le milieu de l’architecture va-t-il, selon vous, évoluer ?
Le milieu de l’architecture va s’ouvrir davantage. Maurice est appelé à suivre les pays les plus avancés. Le métier d’architecte ne correspond plus à l’artiste hermite qui conçoit et travaille seul dans son atelier. Les architectes travaillent, depuis un certain temps déjà, obligatoirement en groupe, des fois avec d’autres compétences et des profils bien différents tels que des sociologues, des environnementalistes, des experts en communication, des informaticiens, etc.

De l’autre côté, les étudiants en architecture, qui sont actuellement en formation, ne seront pas des architectes tels que nous le définissons aujourd’hui. Ils inventeront des nouvelles pratiques de l’architecture, soit par l’entrepreneuriat, qui est un phénomène global, soit par la croissance exponentielle de la capacité des outils numériques. Ce seront des «Archi-Tech», branchés jusqu’aux bouts des doigts à la technologie.

Comment la technologie altère-t-elle l’architecture ?
La technologie ne change pas seulement l’architecture mais la manière de concevoir ce domaine. J’ai connu la génération d’architectes qui travaillaient encore au calque et au Rotring, un stylo à encre. Pour effacer, il fallait à l’époque gratter l’encre du calque avec une lame de rasoir. Maintenant, avec les outils numériques, non seulement sommes-nous capables de dessiner à la machine deux ou trois fois plus vite ce que nous faisions à la main, mais il est également possible, par des données paramétriques, de générer des formes complexes que l’intelligence humaine ne peut pas encore assimiler.

Je ne dis pas qu’à Maurice, nous devons aussi faire ce type d’architecture car les contraintes et les demandes ne sont pas les mêmes mais, à une autre échelle, je pense que les outils numériques tels que la numérisation et l’impression 3D sont une réalité de l’évolution architecturale et du design. D’ailleurs, nous parlons de plus en plus de smart cities. Ces dernières, ultra-connectées, nécessitent une base de données que nous appelons le big data. Et ce sont les architectes, par leur formation de généraliste, qui sont les mieux placés, selon moi, pour travailler sur ces sujets complexes.

 


Parcours

<p>Ancien élève du collège du Saint-Esprit, Kevin Sew sait, dès ses 14 ans, qu&rsquo;il veut être architecte. Après ses études, il s&rsquo;envole pour Lyon, en France, et y entame cinq années d&rsquo;études en architecture. Il travaille ensuite avec Philippe Meier, un des professeurs invités de son établissement et se rend à Genève. C&rsquo;est là qu&rsquo;il effectue son habilitation à la maîtrise d&rsquo;oeuvre. Revenant au pays en 2010, il intègre une société spécialisée, créée par un ingénieur français. Il représente des groupes hôteliers et des investisseurs qui n&rsquo;ont pas la connaissance technique pour entreprendre un projet immobilier ou de construction. En 2013, il devient partenaire dans cette entreprise et en prend bientôt la direction.</p>