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En Inde, l’ubuesque interdiction de vente d’alcool

12 avril 2017, 16:58

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En Inde, l’ubuesque interdiction de vente d’alcool

Lorsque Shailja Singh s’est rendue à son bar favori pour une bière après une bonne journée de travail, elle l’a trouvé fermé en raison d’une décision de la Cour suprême indienne qui porte un coup dur au secteur de la restauration.

Au nom de la sécurité routière, la plus haute instance judiciaire d’Inde a interdit toute vente d’alcool à 500 mètres des autoroutes. Un rayon dans lequel se trouvent des milliers de bars, hôtels et restaurants de ville qui servent aussi bien des touristes que des salariés comme Shailja.

Heureusement pour cette jeune femme de 23 ans, la limite des 500 mètres ne couvre que la moitié du parc de bars et de restaurants de Gurgaon, ville satellite de Delhi, où elle a l’habitude de se rendre. Ce qui signifie qu’elle n’a que quelques mètres à parcourir pour trouver un lieu vendant de l’alcool.

Mais, pour les commerces affectés, c’est l’impasse.

«C’est l’une des décisions les plus régressives que j’aie jamais vue», s’agace un investisseur dans un bar qui a dû arrêter de vendre de l’alcool.

«Le Premier ministre parle de faciliter le climat des affaires. Mais dites-nous, pouvons-nous seulement faire des affaires ? Quel message envoie-t-on aux investisseurs étrangers ? Que du jour au lendemain vos investissements peuvent partir en fumée ?», s’énerve cet homme qui a requis l’anonymat.

Beer Café sans bière

Avec sa classe moyenne en pleine expansion, l’Inde constitue un marché prometteur pour l’industrie de l’alcool.

En 2016, les ventes de boissons alcoolisées dans le pays s’élevaient à 40 milliards de dollars, huitième plus gros marché en valeur de la planète. Ce chiffre devrait progresser de 6% par an au cours des quatre prochaines années, selon une étude d’Euromonitor International.

«Les entreprises de l’alcool, l’industrie du tourisme, avaient toute une stratégie en place lorsqu’elles ont monté leurs business et puis, d’un coup, cette décision de justice est survenue», explique un analyste de Bombay qui n’a pas souhaité être nommé.

«C’était complètement inattendu et ils vont devoir tout repenser», ajoute-t-il.

Depuis l’entrée en vigueur de l’interdiction au 1er avril, les chiffres d’affaires des bars et hôtels concernés plongent. Shahira Khan, responsable d’une enseigne de la chaîne Beer Café à Gurgaon, fait état d’une désertion massive des clients.

«Avant, pendant un jour normal de semaine, nous avions 200 personnes par jour. 250 les week-ends. Maintenant nous n’avons presque personne», relate-t-elle à l’AFP.

«En même temps, pourquoi les gens viendraient-ils ? Il n’y a pas de bière au Beer Café», se lamente-t-elle.

Labyrinthe 

Mais l’Inde est aussi la nation de la débrouille (le fameux «jugaad» en hindi) et du contournement de la loi.

Des États, comme le Pendjab ou le Rajasthan, ont ainsi changé des panneaux d’autoroutes pour que ces axes soient officiellement désignés comme de simples routes locales, auquel cas l’interdiction ne s’applique plus.

Plus ingénieux encore, des bars et des centres commerciaux situés à proximité des autoroutes ont mis en place des déviations ou des petits circuits tout en virages pour que la distance effectivement parcourue par un véhicule soit au-delà du couperet des 500 mètres.

L’Inde a les routes les plus meurtrières du monde. Près de 150.000 personnes y sont mortes au volant en 2015, dont 6.755 à cause de l’alcool.

Le gouvernement réfléchit à des mesures plus strictes contre les conducteurs en état d’ivresse, avec des peines allant jusqu’à 10.000 roupies d’amende (146 euros) et une peine de prison.

Pour l’investisseur furieux qui a vu ses placements réduits à néants, cette piste serait une solution autrement plus sensée.

«Plutôt que de durcir la loi sur l’alcool au volant, ils préfèrent interdire la vente d’alcool tout simplement. C’est comme dire qu’il y a des violeurs dans la nature et donc que les femmes ne doivent pas sortir dehors», dit-il. «Dans quelle société vit-on ?»