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Phalraj Servansingh: «Nous voulons créer une nouvelle génération d’entrepreneurs»

4 avril 2017, 09:49

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Phalraj Servansingh: «Nous voulons créer une nouvelle génération d’entrepreneurs»

Pallier la population d’entrepreneurs vieillissante et donner une nouvelle impulsion aux petites et moyennes entreprises (PME) : telles sont les objectifs de Phalraj Servansingh. Le Managing Director de la Small and Medium Enterprise Development Authority (SMEDA) passe en revue les difficultés du secteur et les stratégies nécessaires à sa redynamisation. 

Un plan directeur de dix ans vient d’être lancé à l’intention des PME, ce qui laisse penser qu’il était urgent de venir à leur rescousse…

Définitivement ! Le ministère du Business, des Entreprises et des Coopératives a souligné la nécessité d’un Master plan pour définir la ligne directrice des actions pour les PME. C’est ainsi que nous saurons où nous allons. Nous pourrons déterminer nos priorités et le travail à entreprendre. De là, nous pourrons élaborer d’autres plans d’action à court terme. D’autant plus que nous travaillons dans un secteur important appelé à devenir l’un des piliers de l’économie selon la vision gouvernementale. 

Vous évoquiez les «priorités» du secteur. Quelle en est la principale selon vous ? 

Une des priorités est de rehausser la qualité des produits, leur «finishing» et de faire en sorte qu’ils deviennent «export-ready». Nous rencontrons un problème aujourd’hui à ce niveau. En effet, seulement 3 % de nos exportations proviennent des PME. Ici, nous parlons des moyennes entreprises de textile, des produits de l’agro-alimentaire comme les fameux Banana chips ou encore la bijouterie. Il y a plusieurs raisons à cela. Par exemple, il y une difficulté d’accès aux marchés, des problèmes au niveau de la quantité et de la capacité à produire des articles exportables. Avant d’aller chercher des marchés, il y a un gros travail à faire pour encadrer les PME. Si nous voulons vraiment augmenter l’exportation comme préconisé dans le Master Plan, il nous faut accomplir un travail de base et une étude de marché dans la région. Il nous faut apprendre à maîtriser ces marchés et savoir comment les atteindre. Pour l’heure, les exportations vont davantage vers l’Europe et l’Afrique du Sud. Par contre, sur la région, elles sont encore très limitées.  

Justement, lors de la 168e Assemblée générale de la Chambre de commerce et d’industrie de Maurice, les secteurs privé et public s’accordaient sur la nécessité de protéger le «Made in Mauritius» de la concurrence régionale. Quel est l'impact de cette compétition sur les PME locales ?

L’impact est vraiment considérable, en particulier dans l’artisanat qui fait face aux produits malgaches, par exemple. Les retombées sont très négatives pour les producteurs locaux. Ceci s’explique par le fait que Madagascar est privilégié en termes de connaissances, de savoir-faire et de matières premières. Prenons deux exemples. D’abord, le prix du rotin à l’importation est devenu extrêmement cher. Puis, considérons le ravenala, cette plante utilisée pour confectionner des paniers, à Rodrigues. Ces plantations se raréfient à force d’avoir été exploitées sans être recultivées. Malheureusement, notre artisanat a stagné ! Nous n’avons pas développé de nouveaux produits. Il nous faut trouver de nouveaux matériaux et développer de nouveaux produits. C’est pour cela qu’avec les autorités, nous avons lancé la Handicraft Academy à Coromandel, de manière à favoriser la formation. 

En outre, nos produits font face à un manque de visibilité. Actuellement, nous travaillons sur un logo spécifique pour certifier ces produits d’artisanat. En parallèle, nous élaborons des Memorandums of Undersatanding avec des pays amis comme l’Inde pour trouver des experts qui nous aideront à réaliser des études et à faire usage de matériaux existants à Maurice (comme les feuilles de bananiers, de canne à sucre, les fleurs séchées, entre autres) pour développer des produits à partir de là.

La concurrence n’est pas si néfaste et peut au contraire encourager l'innovation… Quel est le rôle de la SMEDA à ce chapitre ?

Bien souvent, on se plaint du fait que le marché pour les produits locaux est trop limité. À l’inverse, nous importons des milliards de produits qui pourraient être fabriqués localement. Qui les utilise ? Les Mauriciens ! Pourquoi dit-on que le marché n’est pas là ? On doit pouvoir innover et rendre le produit compétitif. Il nous faut concurrencer les prix des produits chinois fabriqués en masse, pouvoir rehausser le niveau et atteindre un degré exportable, comme je le disais plus tôt. Et avec une campagne de nationalisme, on pourra aider les Mauriciens. 

Par exemple, vous avez un producteur de mouchoirs mauriciens qui place 300 unités dans un panier. À côté, vous avez un autre qui les importe dans des petits boîtiers de six unités. La qualité des mouchoirs importés peut être dix fois inférieure à celle des mouchoirs produits localement. Mais le consommateur aura tendance à prendre ceux qui sont dans la boîte. Ce n’est pas juste une question de coût. Il y a aussi la finition du produit. On peut aussi inclure une petite broderie, faire de la personnalisation, ajouter de la valeur. 

Dans la même veine, pour les snacks, nos fameux «moolkoo» et «baguettes fromage» sont bien plus sains que d’autres versions importées par millions et pleins de colorants. Toutefois, nos versions locales sont emballées dans du plastique transparent. S’ils étaient ne serait-ce que placés dans des sachets en aluminium, ils seraient certainement plus attractifs. Si les acheteurs optent pour des produits venus d’ailleurs, c’est souvent pour une question de présentation, de finition et le prix. D’ailleurs, nous organisons du 12 au 14 mai une foire technologique avec une cinquantaine d’exposants étrangers afin d’encourager les entrepreneurs à voir les modèles technologiques venus d’ailleurs. 

Quel état des lieux dressez-vous du secteur des PME ? 

À ce jour, il y a 125 000 PME en activité. Celles-ci sont réparties en trois catégories : les micro-entreprises dont les revenus annuels atteignent jusqu’à Rs 2 millions ; les petites entreprises avec des revenus allant de Rs 2 millions à Rs 10 millions par an et enfin, les moyennes entreprises qui affichent un chiffre d’affaires variant entre Rs 10 millions et Rs 50 millions. 80 000 des 125 000 des PME font partie de la catégorie «micro» et impliquent des «sole traders» comme des chauffeurs de taxi, des marchand de légumes ou de dholl puri, etc. 

Quant aux petites entreprises, on en dénombre entre 20 000 et 25 000. Celles-ci ont la capacité de s’améliorer, d’exporter et de créer davantage d’emplois. Finalement, les entreprises moyennes sont celles qui exportent et sont bien huilées. Les PME représentent 40 % du produit intérieur brut (PIB) et 55 % des emplois. Nous voulons augmenter ces deux taux. Selon nos estimations, paradoxalement, six entreprises sur dix peuvent cesser leurs activités ou les interrompre pour se recycler dans une autre spécialisation. 

Quels sont les secteurs d’activités les plus sujet s à des difficultés et pourquoi? 

L’artisanat demeure un domaine en difficulté. D’ailleurs, nous sommes actuellement en train de faire un revamping du secteur. Il est inacceptable de voir, au marché de Port-Louis, autant de souvenirs labélisés de Chine. Nous avons stagné dans l’innovation et opté pour le côté facile de cette filière. On ne peut pas juste se contenter de produire des dodos. 

Un deuxième secteur en difficulté est la menuiserie, et ce, fort de l’importation de meubles. À ce propos, nous avons récemment envoyé 18 entrepreneurs locaux à un événement technologique en Chine pour promouvoir l’innovation. Et troisièmement, la maroquinerie et l’industrie de la chaussure sont également touchées. Soyons francs : nous ne pourrons produire en masse car il y a trop de compétition. La solution : développer davantage le haut de gamme et le fait main.

Pourquoi diverses PME ont du mal à assurer leur pérennité? 

Cette transition est une étape extrêmement difficile. Les PME commencent généralement par une personne possédant une connaissance technique ou un champ d’expertise, ce qui la porte à bien démarrer son affaire. Toutefois, lorsque l’entreprise s’agrandit, l’entrepreneur, en l’occurrence une one-man company ou une family business se retrouve à gérer à la fois de la gestion, des finances, des acquisitions entre autre autres. Finalement, c’est trop demander à la personne. Il y a une lacune au niveau de l’organisation. Du coup, le graphe de progression monte durant la première et deuxième année. Après, il y a une régression. 

Suivant les commandes, les entrepreneurs contractent des emprunts mais ne parviennent plus à gérer, entrant alors dans un cercle vicieux. Pour y remédier, nous travaillons sur le capacity building, des formations de base en marketing, bookeeping, etc. de même que d’autres stratégies avec des Business Development Officers (BDO). Suivant de lancement de six centres de BDO à Maurice, ces personnes-ressources vont sur le terrain pour identifier et trouver des solutions aux problèmes des entrepreneurs. 

En parallèle, beaucoup d’entrepreneurs ne parviennent pas à assurer la relève. Quelles facilités faudrait-il donner à la jeunesse pour les encourager dans cette voie ?

Avec le SME Development Certificate, les autorités ont mis en place un scheme pour encourager la création d’entreprises dans les secteurs prioritaires d’avenir. Ce qui inclut l’océanie, l’agribusiness, le biofarming, l’artisanat, le secteur manufacturier en général, les technologies de l’information et de la communication (TIC), etc. Sous ce projet, une personne obtient jusqu’à 80 % de l’investissement de son capital. 

Ce programme vise à donner la chance aux jeunes d’entrer dans l’entrepreneuriat. Nous voulons créer une nouvelle génération d’entrepreneurs. Nous réalisons que nous avons une génération d’entrepreneurs qui vieillit et qui avait commencé dans les années 80. Aujourd’hui, celle-ci arrive à bout de souffle. Et il n’y a pas de relève. 

D’un autre côté, les jeunes sont plus éduqués. Faire du business aujourd’hui, même avec un diplôme universitaire, c’est tout aussi intéressant. Par exemple, les jeunes peuvent entrer dans les TIC développer des applications, des sites Web, etc. Dans l’agriculture, Benjamin Netanyahu disait que ce secteur incarnait 95 % de technologie et 5 % de main-d’œuvre en Israël dans les années 70. Avec cette idée, le désert s’est transformé en exportateur de fruits et légumes.

Quand on dit aux jeunes d’entrer dans l’agribusiness, ce n’est pas pour prendre le panier et la pioche pour aller aux champs. Néanmoins, ils peuvent faire de la culture en serre avec un système informatisé, gérer la production et l’irrigation automatiquement, faire du biofarming, etc. On veut changer l’image traditionnaliste des PME qui se résume souvent à l’artisanat. On veut créer des PME qui ont des capacités et qui peuvent, fort de leurs formations, rehausser le niveau et la qualité des produits. 

Profil………………………
Qui est-il ? 

À 59 ans, Phalraj Servansingh a travaillé comme goûteur de thé en Angleterre. À Maurice, il a effectué des études en Business Management et a travaillé pour le groupe Rogers. Débutant comme stock controller chez Galaxy, il a gravi les échelons et a été promu Logistics Manager. Après avoir lancé son service de consulting dans les années 2000, il a été conseiller municipal à Port-Louis à partir de 2001. De 2013 à 2014, il a été adjoint au lord maire. Et depuis 2015, il est le Managing Director de la SMEDA.