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Victime d’attouchements, Adalah résiste aux pressions familiales

2 avril 2017, 21:00

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Victime d’attouchements, Adalah résiste aux pressions familiales

Ce récit que vous vous apprêtez à lire est un cas typique de rôles inversés, où l’innocente victime est perçue comme une provocatrice qui a mérité ce qui lui arrive et, pire encore, est accusée de briser l’avenir de son agresseur. Mais lorsque ces pressions viennent d’une mère et d’une grand-mère, cela fait mal.

Jusqu’ici, l’adolescente filiforme que nous nommerons Adalah – signifiant «justice» en arabe – résiste aux pressions parce qu’elle est précisément en quête de justice et refuse que l’histoire se répète avec une autre. Si elle insiste pour se raconter, avec le consentement de son père, c’est parce qu’elle craint que l’affaire, qui l’oppose à son grand-oncle paternel, ne soit étouffée.

Adalah et ses parents vivent en famille élargie dans une localité des hautes Plaines-Wilhems. Son grand-oncle paternel habite à trois rues de là. Âgé de 53 ans, il est marié et père d’enfants adultes. D’aussi loin qu’Adalah se souvienne, il a toujours fréquenté la maison familiale, se montrant très affectueux envers elle et sa jeune soeur. «Ler li kozé, li éna labitid may ou, pran ou dan so lébra, fer ou asiz lor li, pins ou. Li kontan badinn koumsa», explique l’adolescente. En septembre dernier, elle est troublée lorsqu’il l’enlace de dos et que sa main effleure son sein. «J’ai pensé que c’était accidentel.» Sauf que l’épisode se renouvelle. Il n’y a plus de doute possible. «J’ai pris mes distances. Lorsqu’il arrivait à la maison, je restais dans ma chambre et je faisais semblant de dormir.» Mais elle ne peut l’éviter indéfiniment.

En janvier, à plusieurs reprises, le quinquagénaire lui propose de venir la chercher à la sortie de l’école pour aller se balader et lui demande de n’en parler à personne. Il est si insistant qu’elle en parle à sa mère et grand-mère. Celles-ci mettent cela sur le compte du «badinaz abitiel».

Le jour de la Saint- Valentin, son grand-oncle débarque chez elle vers 19 heures. Comme d’habitude, il la fait asseoir sur ses genoux. Sauf qu’au moment où la grand-mère quitte la pièce, le quinquagénaire embrasse Adalah sur la bouche, lui caresse ses seins et tente d’aller plus loin. Elle réussit à le repousser et à crier «non» ! Sa grand-mère accourt et le grand-oncle fait mine que tout va bien.

Lorsqu’elle reprend ses esprits, Adalah décide de garder le silence. «Mo koné kouma mo granmer été. Sak foi ena enn problem dan fami, li dir fodé pa dir personn pou pa envenim sitiasyon.» Remontée, elle envoie des textos au quinquagénaire pour tenter de comprendre pourquoi il a agi de la sorte. Il lui présente des excuses en disant qu’il n’était pas conscient d’avoir eu une conduite déplacée et qu’il la considère comme sa fille. Elle réplique, toujours par texto, que personne ne traite sa fille ainsi.

Lourd secret

Perturbée par cet incident, elle en parlera à sa cousine qui vit dans la même cour. Cette dernière l’encourage à tout avouer à sa grand-mère et l’accompagne. «Ler monn rakont mo dadi séki finn arivé, li dir mwa ki mo pa ti bizin asiz lor mon tonton ek ki mo ti bizin koné kouma zom été. On aurait dit que c’était moi la fautive. Lorsque ma cousine parle de porter plainte à la police, elle a conseillé de ne rien faire car cela allait briser l’unité familiale. Linn dir pa dir personn. Monn demann li al koz ar so frer ek dir li pas remet so lipié dan lakaz. Sa osi linn réfizé ek linn dir ki sé mwa ki bizin gard mo distans.»

Ce secret lourd à porter la ronge et la déprime. Quelques jours après cet aveu à sa grand-mère, celle-ci fait venir, en l’absence de ses parents, un septuagénaire qui est censé la guérir de ses règles douloureuses. «Missié la inn dir mwa baign ar délo salé pandan dé zour. Trwaziem zour zot inn amenn mwa la mer Grand-Baie ek fer mwa zet délo salé lor mwa.» Ce qu’Adalah ignore sur le moment, c’est que sa grand-mère fait croire à tous, à son insu, qu’elle a «trap enn mové zer» et que cela la pousse à affabuler. Et que c’est pour cela qu’elle dû faire appel à un «traiter».

Une semaine plus tard, Adalah, à bout, se confie à une enseignante qui juge l’affaire si grave qu’elle avertit la Child Development Unit (CDU). Ses parents sont aussi mandés à l’école. Sa mère est furieuse arguant que le linge sale se lave en famille. Sa grand-mère, qui est aussi interrogée par un fonctionnaire de la CDU, nie avoir été au courant de quoi que ce soit.

Adalah recevra même la visite de deux policiers de la famille. «Zot inn sey fer mwa per. Zot inn dir mwa ki si mo al dé lavan ar mo dépozision, lapolis pou ekzaminn mwa, é ki dokter la pou poz mwa enn ta kestion ambarasan, ki mo pou tromatizé. Zot inn insisté pou mo tir mo déposition.» Sa mère se met de la partie et lorsque la jeune fille argue qu’elle a échappé à un viol, l’adulte menace de la battre avec une barre de fer. «Li dir mwa ki si case la al dé lavan, sa pou afekté mo lavenir é ki mo pa pou gagn garson pou marié. Mé mo pa pe pans mariaz aster, mwa.»

Sa mère refusera jusqu’au bout d’entendre raison. «Li trist me mo pa finn gagn soutien mo mama, ni mo granmer. Mo pa anvi tir sa case-la. Mo tonton siposé pini pou séki linn fer. Mo ti koné mo éna fami ti lespri ek arriéré mé mo pa ti pansé mo mama ek mo dadi ti pou azir koumsa. Monn degout zot.»

C’est en compagnie d’une avocate qu’elle et son père se sont rendus au poste de police pour donner une copie de l’échange de textos qui s’est déroulé entre elle et son grand-oncle dans la soirée du 14 février. Selon leurs informations, son agresseur présumé n’aurait passé que quelques heures au poste et en cour. Il a en effet  fait sa déposition au poste de police et a été traduit en cour et libéré contre paiement d’une caution.

Père et fille essaient désormais de vivre normalement au sein de la cellule familiale. «Si mo met pression lor mo tifi pou li tir so case, finalman mo pas pé protez li, mo pé protez so agréser e sa li inakseptab», s’insurge son père, qui travaille comme représentant. Ce qui serait vraiment le monde à l’envers…