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Après 15 mois de torture, un opposant russe jure de poursuivre son combat

5 mars 2017, 10:37

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Après 15 mois de torture, un opposant russe jure de poursuivre son combat

Quand ses gardiens de prison lui ont bandé les yeux et l'ont suspendu par les poignets, l'opposant russe Ildar Dadine a compris après quelques minutes que sa volonté avait finalement été brisée.

Emprisonné depuis décembre 2015, il avait déjà été placé à l'isolement, régulièrement passé à tabac et subi des simulacres de noyade dans les toilettes de sa prison du nord-ouest de la Russie.

Mais cette fois-là, quelque chose avait rompu. «J'ai senti cette incroyable douleur et pensé que quelqu'un pourrait venir me violer», explique à l'AFP Ildar Dadine, aujourd'hui libre, dans son appartement d'une pièce situé en banlieue moscovite.

«Je m'en souviens, je me suis senti me décomposer», ajoute-t-il, quelques jours à peine après sa libération.

Ildar Dadine a été le premier citoyen russe à être condamné à de la prison en vertu d'une loi entrée en vigueur à l'été 2014, qui prévoit jusqu'à cinq ans de camp pour quiconque organise plus de deux manifestations non autorisées en l'espace de six mois.

Cet année-là, Ildar Dadine avait justement été arrêté quatre fois et condamné à une amende pour avoir participé à des actions non autorisées. A deux reprises, il était seul et portait une pancarte en soutien à d'autres opposants emprisonnés.

Son cas est devenu emblématique quand il a dénoncé, dans une lettre publiée début novembre par le site Meduza, les «passages à tabac permanents, tortures, humiliations, insultes et conditions de détention insupportables» que lui faisaient subir ses gardiens.

Fin février, la Cour suprême a ordonné sa libération après 15 mois derrière les barreaux. Depuis, cet homme de 34 ans tente de se réadapter à la liberté avec son épouse Anastasia, avec qui il s'est marié alors qu'il était en prison.

En dépit de ces épreuves, cet ancien agent de sécurité assure qu'il ne compte pas abandonner son combat contre le président Vladimir Poutine.

«Pendant que j'étais en prison, d'autres détenus m'ont demandé si je continuerais et j'ai toujours fermement répondu oui», assure-t-il. «Autrement, cela voudrait dire que j'ai eu peur».

Pas le droit de partir

Ildar Dadine a purgé sa peine en étant constamment déplacé de prison en prison. Selon lui, les pires conditions qu'il a eu à subir ont été quand il a été transféré en septembre 2016 dans le camp pénitentiaire IK-7, en Carélie, une région frontalière de la Finlande.

Il a été aussitôt placé au cachot. Quand il a voulu porter plainte et qu'il a entamé une grève de la faim, il assure avoir été menacé puis torturé jusqu'à ce qu'il se rétracte.

Reconnu prisonnier politique par l'ONG Amnesty international, Ildar Dadine a d'abord pensé avoir droit à ce «traitement de faveur» à cause de ses opinions politiques. Mais quand il a entendu d'autres détenus être tabassés, il a compris que ce n'était qu'une pratique routinière des prisons russes.

Les autorités pénitentiaires russes ont démenti les accusations d'Ildar Dadine, mais le scandale a été tel qu'il a poussé le pouvoir à réagir.

Vladimir Poutine, informé en janvier, a ordonné une inspection des services pénitentiaires, sans toutefois lier ouvertement cette initiative à Ildar Dadine.

Si l'opposant doute que les responsables seront un jour condamnés, il compte rester en Russie et continuer d'y dénoncer les mauvais traitements subis par les détenus. «Je n'ai pas le droit de quitter ce pays si d'autres continuent à être torturés», assure-t-il.

Avertissement

Pour l'opposition russe, marginalisée depuis de nombreuses années, l'affaire Dadine et la loi qui l'a condamné, entrée en vigueur quelques mois après les manifestations sanglantes du Maïdan en Ukraine, qui ont provoqué la chute du président prorusse Viktor Ianoukovitch, ne sont qu'une menace de plus.

«C'était avant tout un avertissement pour que d'autres ne descendent pas dans la rue», estime Ildar Dadine. «Regardez ce qui lui est arrivé et ce qui vous arrivera si vous défendez pacifiquement vos droits comme lui».

Sa libération a fait suite à une demande de la Cour constitutionnelle, qui a estimé que les peines prévues par cette loi sont disproportionnées pour des manifestations pacifiques, sans pour autant la déclarer anticonstitutionnelle.

Pour Ildar Dadine, le pouvoir n'hésitera pas à la réutiliser si nécessaire. «Le Kremlin m'a craché au visage», conclut-il.