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Biscuitgate : «Ce n’est plus de l’acharnement, c’est du lynchage», dit Sheila Hanoomanjee

26 février 2017, 22:00

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Biscuitgate : «Ce n’est plus de l’acharnement, c’est du lynchage», dit Sheila Hanoomanjee

Le ton est posé, la voix est calme, mais on sent Sheila Hanoomanjee atteinte. Son parcours d’entrepreneur, les accusations d’irrégularités, les soupçons de favoritisme ; la directrice de Rum and Sugar Ltd n’élude aucune question. Interview d’une dure à croquer.

Vous êtes actuellement à Londres. Vous avez filé à l’anglaise ?

(Rire) Non, je vis en Angleterre. Je m’y suis installée à la fin de mes études. Au départ c’était pour travailler deux ou trois ans, vingt ans plus tard j’y suis toujours, mariée, avec une petite fille de quatre ans.

Votre entreprise, Rum and Sugar Ltd, est au cœur d’une polémique depuis trois semaines.

 Vous le vivez comment ? Mal. Je le vis comme une injustice. On m’a ciblée à cause de mon nom. Je ressens du dégoût, de l’écœurement.

«On», c’est qui ?

 Ceux qui veulent la peau de ma mère.

Ils sont nombreux ? Il y en a quelques-uns.

 C’est elle qu’ils veulent atteindre à travers moi. C’est petit, mesquin et profondément injuste. Je ne fais pas de politique moi, qu’on me laisse travailler en paix. Dans ce milieu, apparemment, tous les coups sont permis, y compris «tuer» un entrepreneur qui démarre. J’ai beau me justifier, j’ai l’impression que ma bonne foi est impuissante devant la calomnie.

«Parce que je m’appelle Hanoomanjee je n’ai pas le droit de travailler ?»

Pourquoi impuissante ?

L’unique produit que je distribue, et qui est un succès commercial, vient d’être retiré des étagères de mon principal client, le Duty Free Shop. Ce n’est plus de l’acharnement, c’est du lynchage. C’est mon nom, le problème ? Parce que je m’appelle Hanoomanjee je n’ai pas le droit de travailler ?

Elle est belle la vision de l’égalité des chances de Xavier-Luc Duval… Franchement, ce Monsieur n’a pas mieux à faire que de polémiquer sur le prix d’une boîte de biscuits ? Est-ce qu’on ne peut pas attendre autre chose d’un leader de l’opposition ? En Angleterre, il se serait couvert de ridicule. Même les tabloïds ne voudraient pas d’une telle histoire. À Maurice, ça passe. On politise tout, y compris un malheureux coffret de biscuits.

Des biscuits à Rs 600, tout de même.

D’une, ce n’est pas moi qui décide du prix final, ce sont les distributeurs – mon coffret est vendu à des prix différents à l’aéroport, dans les hôtels ou les supermarchés. De deux, un prix est le résultat d’une confrontation entre une offre et une demande, or la demande est là. Il faut qu’on m’explique comment quelqu’un qui aspire aux plus hautes fonctions de l’État peut prendre à ce point les gens pour des imbéciles.

M. Duval a été ministre du Tourisme pendant des années, il connaît les prix pratiqués dans les Duty Free Shops, il sait qu’on trouve du thé à 8 euros, du sel à 11 euros et même, tenez-vous bien, deux gousses de vanille à 60 euros ! On sait tous que les marges des produits touristiques sont plus importantes, alors pourquoi me cibler moi ? Dans un hôtel, une bouteille d’eau peut se vendre à Rs 400, qui s’en émeut? Les hôteliers sont-ils des arnaqueurs? Non, c’est la loi de l’offre et de la demande.

À l’aéroport, c’est donc la Mauritius Duty Free Paradise (MDFP) qui a décidé du prix ?

 Oui. Ma proposition était bien inférieure.

C’est-à-dire ?

Je ne pense pas avoir le droit de révéler ce genre de chose. Je leur ai proposé un prix public plus bas, ils m’ont dit qu’ils avaient «des marges minimums à satisfaire», probablement dues à leurs coûts, d’où les 17 euros.

Outre le prix, des doutes ont été émis sur le lieu d’empaquetage.

Ils n’ont pas lieu d’être : l’empaquetage se fait au Nenuphar Complex, à Flic-en-Flac, comme stipulé sur le packaging.

«Je ne fais pas de «biscuit business», je vends des coffrets souvenirs»

Pourquoi avoir choisi l’adresse résidentielle de votre mère comme siège social ?

Parce que c’est aussi ma maison ! C’est là que je reçois tous mes courriers depuis vingt ans. C’est une habitation privée, et non une résidence officielle financée par le contribuable.

Revenons à la case départ : quand et comment vous est venue l’idée de faire du «biscuit business» ?

Je ne fais pas de «biscuit business», je vends des coffrets souvenirs. L’idée m’est venue il y a trois ans. Lors d’un voyage, j’ai vu un produit similaire et je me suis dit qu’il y avait certainement un marché à Maurice.

J’ai creusé l’idée et abouti à un projet : concevoir un joli coffret de biscuits Made in Mauritius. À partir de là, j’ai contacté un designer, un fabricant, un fournisseur, tout cela a pris un peu de temps. En avril dernier, je suis allée voir les responsables du Duty Free avec des échantillons.

Ils vous ont dit «oui» tout de suite ?

Certainement pas ! Ils m’ont expliqué qu’ils ne traitaient pas avec des individus, mais avec des compagnies. J’ai donc créé la mienne, en juillet. Ensuite, j’ai eu à fournir, comme tout le monde, une série de documents, de certificats. Puis, on a commencé à négocier un prix. Le tout a duré deux ou trois mois.

On est donc en octobre, vos biscuits sont sur les rayons.

Pas encore. Le produit a été soumis à l’aval d’un Procurement Board, qui l’a accepté sur une base d’essai. «On ne s’engage pas sur le long terme, on aimerait juste tester le produit, voir si ça marche» : ils ont bien insisté là-dessus et ils m’ont commandé quelques centaines de coffrets.

Combien ?

Moins de 500.

Votre première commande, donc.

Oui, livrée en décembre. L’objectif était de l’écouler en deux mois mais tout est parti en trois semaines à peine. Ils étaient ravis, moi aussi. Du coup, fin janvier, ils ont passé une seconde commande, plus importante, autour de 1 000 pièces. Je n’ai pu en fournir qu’une partie car je n’avais pas suffisamment de coffrets en stock. Voilà, vous savez tout.

«Mon profit est de quelques euros par coffret, ce n’est pas lourd. Mon bénéfice ne dépasse pas les Rs 40 000 par mois.»

On ne sait pas l’essentiel : combien ce business vous rapporte-t-il et avez-vous bénéficié de passe-droits ?

Je n’ai rien à me reprocher, rien à cacher, je vais tout vous dire. Mon profit est de quelques euros par coffret, ce n’est pas lourd. Mon bénéfice ne dépasse pas les Rs 40 000 par mois. Et non, à aucun moment je n’ai profité d’un quelconque avantage, je dis bien à aucun moment. On me reproche d’avoir réussi à «placer» mon produit six mois après la création de l’entreprise, mais la MDFP, ni aucun autre distributeur d’ailleurs, exige dix ans d’expérience. C’est le produit qui compte, pas l’âge de la compagnie.

 

Les portes ne s’ouvrent pas plus facilement quand on s’appelle Hanoomanjee ?

C’est le contraire : elles se ferment plus facilement. La preuve, mon produit a été retiré des rayons de la MDFP.

Pour quelle raison ?

Je n’en sais rien, je n’ai pas eu d’explication jusqu’à présent. Pourtant, ils gagnent bien leur vie grâce à mes biscuits – «ils», c’est l’État. Voilà, j’ai apparemment perdu mon principal client, tout ça pour des allégations de favoritisme qui ne reposent sur rien. À aucun moment – avec mes fournisseurs, le District Council, le ministère de la Santé, les douanes, etc. – je me suis présentée comme la fille de la Speaker. Oui, c’est ma mère, et alors ? Cela m’interdit de faire du business ? En fait, je n’ai pas le droit de réussir. Tout de suite, c’est suspect : «Elle s’appelle Hanoomanjee, elle a sûrement été favorisée.» Cette présomption de culpabilité me dégoûte. Parce que moi, dans ce projet, j’ai tout mis : mon temps, mon énergie et mes économies.

Et vos liens de parenté avec le Premier ministre ?

J’ai rencontré Pravind Jugnauth une seule fois dans toute ma vie. S’il me croisait dans la rue il ne me reconnaîtrait sans doute pas.

Vous allez jeter l’éponge ?

Pas question ! Des avocats me conseillent pour faire valoir mes droits. Je compte bien continuer à faire vivre mon entreprise, à la développer. Je suis une battante, je ne me laisserai pas faire, je sortirai plus forte de cette affaire. Quand on n’a rien à se reprocher, il n’y a qu’une option : se battre.