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Le cas Beyoncé aux Grammys illustre-t-il un problème racial?

14 février 2017, 13:35

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Le cas Beyoncé aux Grammys illustre-t-il un problème racial?

Après Hollywood et les Oscars, c'est à présent l'industrie musicale et ses prix les plus prestigieux, les Grammys, qui se retrouvent au coeur d'une polémique et accusés d'un biais racial.

La superstar afro-américaine Beyoncé n'est une nouvelle fois pas parvenue dimanche à décrocher les principales récompenses aux Grammy Awards avec son album concept «Lemonade», pourtant universellement acclamé. 

Accompagné d'un film éponyme, c'est le plus sophistiqué et politiquement engagé de sa carrière, évoquant à la fois l'univers des femmes noires aux Etats-Unis et l'odyssée d'un couple en péril.

C'est la diva britannique Adele qui a récolté les prix les plus prisés pour son album de balades écorchées «25», dans la même veine que le précédent, «21».

Elle avait déjà remporté le tiercé de principaux Grammys pour «21» et entre ainsi dans l'histoire de ces prix.

Mais, fan déclarée de la «reine Bey», elle s'est jointe dimanche, ses cinq prix en mains, à ceux qui ne s'expliquaient pas que leur idole ne soit toujours pas consacrée et ne reparte qu'avec deux trophées plus mineurs (meilleure vidéo pour «Formation» et meilleur album urbain contemporain).

Que doit-elle faire?

«Qu'est-ce qu'il faut qu'elle fasse pour gagner l'album de l'année?», a déploré Adele.

Sur la scène du Staples Center, elle s'était lancée dans un vibrant hommage à Beyoncé, assurant que «Lemonade» était «exaltant» et «monumental».

Le triomphe d'Adele, spécialiste des balades mélancoliques sur les amours perdues, survient un an après que la pop-star Taylor Swift eut aussi récolté les principaux prix pour son album de tubes légers sur les émois amoureux «1989». Elle avait évincé le rappeur noir Kendrick Lamar et son opus «To Pimp A Butterfly», encensé par la critique et dont le titre «Alright» est devenu un hymne du mouvement Black Lives Matter.

Après la polémique sur les Oscars trop blancs des deux dernières années (suivie cette année d'un record de nominations d'acteurs noirs) une nouvelle controverse est en train d'émerger: les Grammys sont-ils eux aussi teintés de racisme?

Le New York Times a frontalement déclaré lundi: «GrammysSoWhite: les prix vont-ils regarder en face leur problème racial?»

Frank Ocean, le pionnier du hip-hop introspectif dont le premier album en 2013 s'est incliné face au folk anglais de Mumford & Sons, a choisi de ne même pas candidater aux Grammys avec son album suivant, «Blonde».

Après la cérémonie de cette année, le musicien a écrit une lettre ouverte aux organisateurs des Grammys leur demandant de discuter du «biais culturel et des dégâts pour les nerfs en général» occasionnés par le spectacle télévisé de dimanche.

'Ca fait mal'

Les Grammys, décernés par le vote de 13.000 professionnels de la musique membres de l'Académie du disque (Recording Academy) n'ont toutefois pas complètement ignoré Beyoncé: lauréate de 22 Grammys sur l'ensemble de sa carrière, elle est l'une des artistes les plus récompensées de l'histoire de ces prix.

Si Stevie Wonder est recordman ex-aequo pour avoir été sacré album de l'année trois fois, le prix principal a été particulièrement difficile à décrocher pour les afro-américaines: seules Natalie Cole, Lauryn Hill et Whitney Houston l'ont conquis.

«Lemonade parle vraiment de la manière dont les femmes noires sont traitées historiquement par la société», alors «d'une certaine façon ça colle qu'elle ait été laissée en plan», estime LaKisha Simmons, professeure d'histoire et d'études féministes à l'Université du Michigan.

«Beyoncé va s'en remettre», mais «pour le reste d'entre nous ça fait mal parce que ça semble presque dire restez à votre place», a-t-elle ajouté.

Aux Grammys, Beyoncé a fait sa première apparition en public depuis l'annonce qu'elle est enceinte de jumeaux, avec une performance acclamée en forme d'ode à la maternité et une allure de déesse.

Vu son immense puissance de frappe commerciale, elle est difficile à qualifier d'artiste expérimentale: en 2015 elle avait une fois encore manqué le titre d'album de l'année, au profit de Beck, artiste aux ventes bien moins spectaculaires.

Elle innove toutefois en permanence sur la manière de vendre des disques. L'album à son nom sorti en 2013 avait créé la surprise en étant accompagné d'une vidéo par chanson, et une diffusion initiale en streaming sur iTunes.

«Elle bouscule vraiment l'Académie du disque et l'industrie musicale», souligne Kevin Allred, qui a tenu des conférences sur Beyoncé à l'université Rutgers du New Jersey.

La pop-star «casse les règles avec succès», dit-il. «C'est aussi une femme noire avec un degré d'influence rarement égalé.»