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Le classement «The Economist», une farce ?

5 février 2017, 15:27

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Le classement «The Economist», une farce ?

La Business Intelligence Unit, filiale de la revue britannique The Economist prétend que Maurice est une «démocratie parfaite» devançant tous les pays d’Afrique, dans son indice annuel sur la démocratie. 167 pays sont concernés. Selon le classement, Maurice, 18e dans le classement final, se targue même de dépasser des pays tels que les États-Unis, l’Italie, la France ou encore l’Inde. Ces pays se trouvent dans la catégorie de ceux ayant une «démocratie imparfaite».

Selon le rapport, le calcul est fait en s’appuyant sur 60 indicateurs répartis en cinq catégories, soit le processus électoral et le pluralisme, les libertés civiles, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique et la culture politique. Chaque indicateur est évalué au moyen d’une échelle de notation à trois degrés (0 ; 0,5 et 1) et la somme des points attribués à chaque indicateur est totalisée. Cette note est divisée par six et donne ainsi une moyenne sur 10 pour chaque pays.


 

The Economist classifie alors les pays selon les critères suivants : 8 – 10 : démocratie parfaite 6 – 7,9: démocratie imparfaite 4 – 5,9 : régimes hybrides 0 – 4 : régimes autoritaires

Qui a répondu aux questionnaires pour Maurice ? Nous avons écrit aux auteurs du rapport en début de semaine et, jusqu’à présent, notre demande, selon leur réponse, «a été remise à des analystes et sera traitée ultérieurement». Mais cette question est fondamentale car quand nous avons épluché le questionnaire, nous sommes tombés sur des questions dont les réponses peuvent être très subjectives.

Un questionnaire complet mais subjectif

 Par exemple, le sondé doit dire s’il estime que le processus électoral est entièrement juste. Posez la question à ceux qui ont tenté de se porter candidat aux élections sans déclarer leur appartenance ethnique et la réponse sera certainement différente de celle d’un groupe socioculturel qui arrive à obtenir des faveurs du pouvoir. Il y a aussi ces questions extrêmement techniques, où le sondé doit avancer des estimations. «Quelle est la perception populaire sur la mesure où les citoyens ont le libre choix et le contrôle de leur vie ?» demandent les auteurs du rapport.

Le sondé a trois choix : beaucoup, moyen ou peu.

Pour tester la subjectivité du rapport, dans le cadre de l’omerta autour de ceux qui ont répondu aux questions de The Economist, nous avons demandé à cinq personnes – un chef d’entreprise, un directeur commercial et trois journalistes – de répondre aux questionnaires. Les notes récoltées se répartissent ainsi : Le chef d’entreprise : 7,58 Journaliste 1 : 4 Journaliste 2 : 6,83 Journaliste 3 : 6,50 Le directeur commercial : 7,08 La moyenne chute ainsi de 8,28 points (la note mauricienne selon The Economist) à 6,38. Résultat : Maurice n’est plus une démocratie parfaite et devient une dé- mocratie imparfaite. Maurice n’est plus 18e et se retrouve à la 70e place mondiale avec le même nombre de points que Singapour. En Afrique, Maurice n’est plus 1re, mais 4e derrière l’Afrique du Sud, le Ghana, et la Tunisie.

Le gouvernement mauricien est-il un client de «The Economist» ?

Nous avons posé une autre question aux auteurs du rapport: «Recevez-vous des publicités des entités gouvernementales, semi-gouvernementales ou des compagnies où l’État est actionnaire majoritaire (exemple : Air Mauritius, State Bank, AML etc.) ? Si oui, pouvez-vous nous avancer les chiffres?» La réponse est la même: «A été remise à des analystes et sera traitée ultérieurement.» Cette question est pertinente car ces contrats publicitaires, souvent mirobolants, peuvent avoir une contrepartie : une bonne presse pour le pays en question, ou encore des interviews de dirigeants.

Un ancien conseiller au bureau du Premier ministre raconte que, lors d’un entretien de celui qui occupait à l’époque le bâtiment du trésor accordait à un grand magazine occidental, le journaliste a subitement interrompu l’interview... pour faire un plaidoyer auprès du Premier ministre pour que celui-ci intervienne auprès d’une société où l’État détient des actions, pour qu’elle lui signe un contrat publicitaire !

 

Ce qu’ils pensent du rapport

Eric Ng, économiste


 

L’indice de «The Economist» Intelligence Unit est dépassé. Il y a eu le «Prosecution Commission Bill», la passation de pouvoir entre père et fils Jugnauth. Le rapport prend-il cela en compte ? Le rapport s’est appuyé sur des sondages, des études, des publications de l’île Maurice, voire de l’étranger. Ces recherches peuvent induire en erreur car il n’y a pas eu d’enquêtes sur le terrain. Toutefois, Maurice reste une démocratie, même s’il suffit de peu pour qu’on bascule dans un régime presque autoritaire.

Pierre Dinan, économiste


 

Je ne suis pas étonné que Maurice soit première démocratie en Afrique ; mais qu’on se retrouve devant la France, je suis surpris. La séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) a joué en notre faveur. Si le «Prosecution Commission Bill» avait été voté, le classement aurait été différent.

Amédée Darga, consultant


 

Je ne suis pas surpris. Maurice a un bon système de démocratie, même s’il n’est pas parfait. Mais il revient au peuple mauricien d’évaluer. Il faut continuer à œuvrer en ce sens. La priorité demeure la réforme électorale.