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Questions au…Dr Guy Gnany, gynécologue-obstétricien: «Difficile de voir la démarcation entre business et médecine»

6 décembre 2016, 11:58

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Questions au…Dr Guy Gnany, gynécologue-obstétricien: «Difficile de voir la démarcation entre business et médecine»

 

Ce n’est pas souvent que les médecins exerçant au libéral montent au créneau pour dire ouvertement le fond de leur pensée. Pourquoi aujourd’hui ?

J’ai pu constater beaucoup de choses pendant ces années. J’ai certes vu des progrès dans la médecine privée mais aussi dans la médecine publique car plus d’argent y est injecté. Mais je me sens plus interpellé par la médecine privée ou libérale car c’est le secteur que je connais le mieux. Au fur et à mesure que le temps passe, je me demande si nous sommes vraiment des médecins au libéral car il y a de plus en plus de cabinets médicaux au sein des cliniques…

Est-ce mauvais ?

Oui, car je crois que le patient doit pouvoir choisir son médecin traitant et non pas laisser l’administration d’une clinique ou celle d’une compagnie d’assurances lui dicter ce choix. J’ai toujours résisté à intégrer un cabinet médical au sein d’une clinique ou que mon nom paraisse sur une liste de médecins établie par une compagnie d’assurances car j’estime que c’est de la publicité déguisée.

Souvent, de nos jours, ce sont les compagnies d’assurances et les secrétaires des cabinets médicaux des cliniques qui canalisent les patients vers les médecins et ce n’est pas normal. En donnant un choix, cela crée une certaine compétition, qui ne peut qu’être bénéfique aux patients.

Aujourd’hui, lorsqu’on fait l’évaluation d’une clinique, ce sont les murs que l’on évalue. On ne prête que très peu attention à ce que les médecins ont à dire.

«Si CIEL-Fortis reprend Apollo Bramwell, je me demande ce que deviendront les plus petites cliniques ?»

À qui la faute ?

Aux médecins, je le concède. Car ils sont dans leur cocon et certains ont peur de perdre leurs privilèges. On a vu de gros investissements dans les cliniques. On en a eu une idée de  l’importance des capitaux injectés avec le cas Apollo Bramwell. Aujourd’hui, c’est du business et on s’attend à des retours sur l’investissement. En sus de leur bilan financier, les cliniques auraient dû publier un bilan de leurs cas traités comme cela se fait à l’étranger. Car la finalité de la médecine, c’est le nombre de vies qu’on a sauvées.

Cela m’amène à faire la remarque que d’après ce que j’ai pu observer dans les journaux, les repreneurs étrangers intéressés par Apollo Bramwell n’ont pas été très nombreux. C’est même inquiétant qu’il n’y ait pas eu plus de soumissionnaires. Si c’est le tandem CIEL-Fortis qui reprend Apollo Bramwell, je me demande ce que vont devenir les plus petites cliniques et leur clientèle ? Quand on a une situation de quasi-monopole, on peut tuer les petits.

Justement, le CEO de CIEL a évoqué cette situation en disant qu’en cumulant les deux, en termes de lits, cela ferait moins de 7 % du nombre total de lits à Maurice, soit 4 295. Une réaction ?

Navré de le contredire mais à ma connaissance, il n’y a pas 4 000 lits dans les cliniques à Maurice. J’ignore sur quoi il s’est basé pour faire ce calcul. J’ai travaillé dans plusieurs cliniques et je peux vous dire là où le bât blesse. Il y a un manque d’investissement dans le personnel mais aussi un manque de valorisation. La formation du personnel est importante. C’est bien que le conseil de l’Ordre des médecins ait mis en place un système de Continuous Development Programme. J’ai d’ailleurs assisté à deux présentations, la semaine dernière, sur les complications du diabète, animées par deux jeunes confrères, et j’ai été très impressionné. Si on avait une cinquantaine de jeunes spécialistes comme eux, ce serait extraordinaire.

Pourquoi ce n’est pas le cas ?

Le problème principal est que le médecin ne travaille pas en sécurité. Pour qu’un médecin maîtrise une technique comme il le faut, il doit partir passer du temps à l’étranger pour une formation pratique et qu’il soit à même de l’appliquer à son retour ou alors que nous ayons des spécialistes étrangers basés à Maurice qui appliquent les nouvelles techniques et forment les médecins mauriciens. Les nouvelles techniques fusent continuellement et les jeunes médecins auraient dû pouvoir s’absenter pour aller se perfectionner.

Il y a trop de médecins mais peu qui excellent. Il faut dire aux jeunes la vérité. Leur faire comprendre qu’au début de leur carrière, ils ont besoin d’une bonne formation et qu’ils ne doivent pas se contenter de travailler 35 heures par semaine. Beaucoup ont fait médecine pour avoir le titre de docteur sans réaliser que pour atteindre le niveau voulu, cela demande de la pratique et du temps. Mais ils craignent de suivre une formation continue par peur de perdre leur clientèle. Le talent dans la médecine se situe entre 35 et 50 ans. Cela prend du temps pour fidéliser une clientèle. Ceux qui y sont parvenus défendent leur pré carré.

Ici, on est davantage au service de la clientèle. Je suis content d’être resté un médecin libéral car je sais que le patient qui vient chez moi m’a choisi. Aujourd’hui, dans la médecine, le patient et le médecin ont de moins en moins leur mot à dire. La priorité a changé. Dans la gestion d’une clinique, il y a le côté business et le devoir de générer des profits pour les actionnaires et, de ce fait, on met davantage l’accent sur le client que le patient.

Autrefois, aucune clinique n’avait de département de marketing. Aujourd’hui, chaque clinique en a un. Il n’y a rien de mal à cela. Mais parallèlement, il faudrait une cellule qui fasse le bilan des cas traités. C’est devenu difficile de voir la ligne de démarcation entre le business et la médecine. S’il est vrai que cette réalité est mondiale, le lien personnel entre le patient et son médecin s’est amoindri.

Estimez-vous qu’Apollo Bramwell aurait dû être racheté par un groupe étranger plutôt que par un groupe mauricien ?

Il faut toujours que le patient ait un choix. Si le groupe CIEL Fortis rachetait Apollo Bramwell, cet établissement serait géré comme Fortis Darné et ça diminuerait le choix disponible aux patients. La médecine privée serait dépendante d’un seul groupe alors que l’on souffre encore des conséquences de l’effondrement d’un conglomérat.

Cela n’aurait-il pas été le cas si la reprise se faisait par un groupe étranger ?

Non, la pratique de la médecine aurait été différente et plus variée. Les services et les tarifs appliqués auraient été différents et le public aurait eu un plus grand choix. Cela aurait aussi encouragé du Foreign Direct Investment

Les «packages» médicaux ne sont-ils pas une des solutions ?

Je ne suis pas sûr que les packages médicaux soient une bonne chose. Ils sont bons pour augmenter le nombre de patients mais le médecin écourte son temps de consultation et cela n’améliore pas la qualité des soins. Il faudrait une étude pour voir si depuis l’instauration de packages médicaux, le taux de mortalité ou de morbidité a baissé ou pas. Il n’y a qu’un seul avenir pour Maurice et – ce, quel que soit le secteur d’activité – c’est le frottement avec l’étranger. Nous ne sommes pas le nombril du monde.