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Pakistan: au marché des femmes, un parfum d'émancipation

27 novembre 2016, 09:25

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Pakistan: au marché des femmes, un parfum d'émancipation

C'est un tout petit marché, en bordure d'un village, au fond d'une vallée conservatrice du Cachemire pakistanais. Avec une particularité: ses petites échoppes, coiffées de tôle, sont réservées aux femmes, qui y commercent à l'aise et débattent de leurs droits.

Ce marché a vu le jour à Rawalakot (est) en 2011 à l'initiative de Nusrat Yousuf, qui dirige une petite ONG spécialisée dans les questions de violence domestique. 

Elle a réussi à convaincre un propriétaire terrien de ce village proche de la localité de Rawalakot, dans la vallée des Perles au Cachemire, de mettre l'espace à la disposition des femmes.

On y trouve des merceries et des boutiques de vêtements. Les femmes peuvent aussi se former pour devenir esthéticiennes, une rare opportunité d'emploi dans cette communauté régie par les traditions.

Dans ce territoire montagneux et enclavé de l'est du Pakistan, les femmes sont souvent empêchées par leurs familles de prendre un emploi dans les marchés et autres espaces dominés par les hommes, relève Mme Yousuf.

«Elles sont frustrées de ne pas pouvoir travailler et de devoir passer leur vie à la maison», explique cette militante de la cause des femmes âgée de 48 ans.

Le marché pour femmes leur permet de contourner ces tabous et de s'émanciper, souligne-t-elle. Elles peuvent «s'y rendre et discuter librement de tous leurs problèmes comme les grossesses, les règles, la cuisine et les problèmes domestiques, et on leur trouve des solutions».

Méandres judiciaires

Parmi les sujets de discussion figurent aussi les difficultés rencontrées par les femmes divorcées ou victimes de violences domestiques quand elles veulent porter plainte ou défendre leur cause devant les tribunaux.

Les femmes font l'objet de lourdes discriminations au Pakistan, où les crimes dits d'«honneur» et les attaques à l'acide sont fréquents. Les défenseurs des droits des femmes exigent depuis des années un durcissement des lois à l'encontre de ceux qui commettent ces crimes, et qui sont souvent des proches des victimes.

«La police ne faisait rien contre un homme influent qui avait tranché le nez de son épouse trois mois plus tôt», relate Mme Yousuf comme exemple de cas rencontrés dans le cadre du marché.

«Elle est venue nous voir et notre ONG a organisé une manifestation contre la police», qui a par la suite accepté d'enregistrer sa plainte. 

«A présent, le coupable est en garde à vue. Nous avons fait appel à une avocate pour défendre le dossier», souligne-t-elle.

Razia Bibi, 35 ans, explique de son côté comment Mme Yousuf la guide dans les méandres du système judiciaire pour obtenir que son ex-mari, dont elle est divorcée depuis 5 mois, paye une pension pour leurs deux enfants. «J'espère que le jugement me sera favorable», dit-elle. 

L'ONG, active dans sept villages, milite aussi pour que des policières soient chargées d'accueillir les femmes dans chaque poste de police.

Interdit aux hommes

A l'origine, les hommes ne pouvaient pas entrer dans le marché. Cette règle a depuis été assouplie: ils peuvent s'y rendre à condition d'être accompagnés d'une femme, indique Mme Yousuf.

La création de ce lieu d'échanges a facilité la vie des habitantes: «Avant, nous devions voyager pour aller dans les grands marchés et nous devions être accompagnées par un homme de la famille», explique Ayesha Bibi, une cliente.

Certaines ont aussi pu y trouver un emploi. Sara Rasheed est diplômée en informatique mais ses proches refusaient de la laisser travailler dans un environnement majoritairement masculin. Elle a réussi à les convaincre de la laisser ouvrir un salon de beauté et une mercerie au marché.

«J'ai un bon revenu et j'économise beaucoup d'argent pour mon avenir et pour ma famille», se félicite-t-elle.

Khurshid Begum, veuve et mère de 4 enfants, a pour sa part ouvert un atelier de couture et y enseigne le métier à des jeunes filles.

«Nous essayons de donner des compétences à un nombre croissant de femmes», se réjouit Mme Yousuf. «Je suis très heureuse de parvenir à mon objectif».