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Pierre-Marie Descamps: décrypter le fond et la forme de l’info

29 octobre 2016, 16:07

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Pierre-Marie Descamps: décrypter le fond et la forme de l’info

Pierre-Marie Descamps a passé les trois quarts de son existence à déchiffrer le fond de l’info pour les lecteurs de «L’Équipe» en France. Depuis sept ans, c’est la forme qu’il décode pour les étudiants en journalisme. Portrait d’un «all-rounder» de la presse.

C’est un Pierre-Marie Descamps frais et dispos qui débarque dans les locaux du journal à l’heure convenue du rendez-vous, soit 21 heures. S’il n’était pas le formateur attitré du programme de Mastère 1 et 2 que son employeur, l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Paris, a délégué pour animer ces cours à La Sentinelle Ltd, on l’aurait aisément pris pour un journaliste du groupe tant il cadre bien dans l’univers journalistique avec son jean, son polo griffé, sa chevelure longue à la Bernard Henry Lévy, la frange en plus. Sa simplicité surprend pour un professionnel de sa trempe, surtout avec une telle carte de visite.

Jugez-en vous-même : reporteur et grand reporteur pendant dix ans à France Football, consultant pour France Inter, adjoint au chef des sports du journal Le Parisien, rédacteur en chef adjoint de L’Équipe et chef de la rubrique football, rédacteur en chef à L’Équipe Magazine. Il n’y a pas à dire, cela en jette. Aurait-il fait l’école de l’humilité ? Non, simplement celle de la vie, avec ses hauts et ses heurts. «Lorsque l’on prend des coups, on s’en souvient», explique ce Niçois, huitième des neuf enfants Descamps dont le père était médecin.

Il a d’ailleurs mis un certain temps à venir au journalisme, bien que ce métier ait été son premier choix. En effet, adolescent, il fait le tour des stands d’une foire d’orientation professionnelle et s’arrête pile devant celui du journal Nice-Matin, «l’équivalent de l’express», précise-t-il. À peine quelques paroles échangées avec le vieux journaliste assis là, cigarette au bec, il en sort découragé, convaincu que «c’est un métier dur et inaccessible».

Son père voit en lui le futur médecin de la famille. Pas lui. C’est d’ailleurs pour échapper aux pressions familiales qu’il monte sur Paris et suit le cours de Mastère en sciences économiques qu’il trouve trop facile à son goût. Il enchaîne avec une licence d’histoire. Pendant les vacances d’été, il fait un stage dans une banque. Et prend rapidement ses jambes à son cou : trop de gens coincés, complaisants et vénaux à côtoyer au quotidien. À la rentrée, c’est dit, ce sera des études de journalisme à l’Institut français de presse à ASSAS Paris 2.

Étudier à Paris est une chose. Se faire embaucher après l’obtention de ses diplômes, c’en est une autre. Il se souvient alors qu’il a pour amie Pascale Ferran, fille de Jacques Ferran, rédacteur en chef du journal L’Équipe. Il lui touche un mot. Elle lui arrange l’entretien. S’il est pris, il commence au bas de l’échelle, soit à faire la relecture des papiers ou encore la vérification des classements d’après-matchs. Et comble de tout, il n’est pas payé. Pierre-Marie Descamps le fait sans rechigner. Au bout de trois mois, le chef de service le confirme et lui verse ses salaires avec effet rétroactif.

Bien qu’au cours de ses 28 ans de journalisme actif, il ait couvert les manifestations sportives les plus réputées et populaires, comme la Coupe d’Afrique, celle d’Asie, la Coppa America, le Tour de France, les 24 heures du Mans, les Jeux olympiques d’hiver pour ne citer que ceux-là, la plus belle expérience de sa carrière est un reportage sur les gradins d’un stade de l’Euro 88 en Allemagne, déguisé en hooligan anglais parmi d’autres. Ayant toujours eu en ligne de mire l’intérêt du lecteur, il explique s’être mis en danger pour offrir à ce dernier «quelque chose d’original».

Ses deux coups durs inoubliables : 1998, après la victoire de l’équipe de France de football en Coupe du monde, sous la houlette de l’entraîneur tant critiqué, Aimé Jacquet, et son renvoi de L’Équipe. Retour en arrière : au lendemain de la Coupe du monde de 1998 et de la gueulante «Jamais je ne pardonnerai» de Jacquet, bien que Pierre-Marie Descamps n’ait pas été le seul à critiquer l’entraîneur français, sa direction voit en lui le bouc émissaire tout trouvé. Un matin, on lui annonce sa mise au placard. Il est envoyé dans un bureau sans ordinateur à faire des petites choses d’une grande banalité. Pas de chance, c’est aussi le jour où son épouse lui annonce qu’elle le quitte. Ce qui le sauve, avoue-t-il, c’est d’avoir retrouvé l’amour sous les traits d’une «femme formidable» qu’il a épousée depuis.

Sa deuxième plus belle expérience en tant que manager d’une équipe de journalistes, il la vit lorsque L’Équipe crée un nouveau quotidien, Aujourd’hui Sport, pour concurrencer 10 Sport qui représente une sérieuse menace pour le quotidien de sport. En trois semaines, le chef de la rubrique sports du Parisien et lui, à qui l’on confie le poste de directeur adjoint à la rédaction, recrutent 40 journalistes, dont 25 jeunes, et conçoivent la maquette de ce quotidien qui doit sortir sur le marché le jour du lancement de 10 Sport. Pierre-Marie Descamps et son équipe relèvent le défi. En cinq semaines, Aujourd’hui Sport détrône 10 Sport, obligeant ce titre à devenir hebdomadaire. Aujourd’hui Sport réussit tellement bien son coup qu’au bout de six mois, sa direction craint qu’il ne cannibalise L’Équipe et met un terme à l’aventure. Une mauvaise nouvelle qui s’accompagne d’une autre puisqu’Aujourd’hui Sport est poursuivie pour pratiques anticoncurrentielles et condamnée à une forte amende par l’Autorité de la concurrence. Rétrospectivement, ne considère-t-il pas cela comme l’unique point noir au tableau de sa carrière ? «Non. Nous avons créé un succès à partir de rien. C’était colossal comme travail. J’ai fait de mon mieux, pas pour tuer un adversaire mais parce que nous inventions un nouveau concept de journal.»

Deuxième coup dur de sa carrière qui compte aussi une escale à Prolongations, maison d’éditions de son groupe de presse où il édite plusieurs livres, il est remercié du jour au lendemain, avec indemnités, victime d’un dégraissage bientôt galopant. «Là, j’ai pris un grand coup sur la tête. Cela a été très difficile», dit-il. Tant et plus qu’il n’a plus voulu rempiler au niveau de la presse écrite mais a été cherché du côté de la formation journalistique. C’est ainsi qu’il est passé directeur des études adjoint auprès du prestigieux Centre de formation des journalistes de Paris, emmenant ses étudiants en stage de formation pendant deux semaines dans plusieurs pays étrangers avant d’être recruté par l’ESJ de Paris, où il enseigne les techniques de la presse écrite depuis maintenant trois ans. Désormais, sa passion est de «transmettre aux étudiants».

Depuis l’an dernier, Pierre-Marie Descamps est aussi passé devant la caméra puisqu’il est un des éditorialistes d’Infosport+ sur Canal Plus. Ce qui explique les cheveux longs sur la nuque, une des suggestions de la production. Maintenant qu’il a un pied dans l’audiovisuel, il trouve «la télé plus facile, moins laborieuse que l’écrit». Ce qu’il ne regrette pas du tout par contre, c’est le management.

Ce père de cinq enfants, dont un fils est chef d’édition au journal Libération, estime que la presse écrite a encore de beaux jours devant elle. «La presse papier va disparaître mais la presse écrite s’ancrera davantage sur le numérique qui ne pourra se contenter de statistiques, d’illustrations et de photos. Il lui faudra de l’écrit. Les journalistes continueront à écrire, à hiérarchiser l’info, à faire passer des messages essentiels. Les principes resteront les mêmes et survivront à tout.»