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Plus de 20 accusations abandonnées par le DPP

11 octobre 2016, 23:20

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 Plus de 20 accusations abandonnées par le DPP

La liste s’allonge. Après que Navin Ramgoolam ne sera plus inquiété par la justice sous quatre charges, dans le cadre des enquêtes sur la vente de terres de l’État et sur l’affaire Bramer Property Fund, c’est au tour d’Anil Bachoo de pousser un ouf de soulagement.

Cela, avec deux accusations à son encontre rayées le lundi 10 octobre. Ainsi, plus d’une vingtaine de charges provisoires logées sous différents délits ont jusqu’ici été rayées contre des personnalités.

MPCB, Banque de Maurice

Avant Anil Bachoo, Rajiv Beeharry-Panray, ancien directeur général de la Mauritius Post and Cooperative Bank, et Shakeel Mohamed, chef de file du Parti travailliste à l’Assemblée nationale, se sont retrouvés dans pareil cas.

De même, Rundheersing Bheenick, ancien patron de la Banque de Maurice, avait été accusé de recel et de blanchiment d’argent. Il a été exonéré de tout blâme en mai.

Bramer Bank, ICTA, NDU, Air Mauritius

En outre, trois ex-employés de l’ex-Bramer Bank ont vu leurs charges rayées. Nommément, Hassam Vayid, qui agissait comme président du Credit Committee de la banque, Yatemani Gujadhur, ex-membre non exécutif, et Shivananda Mootien. Du côté de l’Information and Communication Technologies Authority, Krishna Oolun, Jean-Patrick Jérôme Louis et Usha Bhujan avaient été accusés de complot dans le cadre d’une affaire d’achat de voitures Audi.

D’autres proches de l’ancien régime travailliste, comme Hurrydeo Bholah, ancien Chief Project Manager de la NDU, ont aussi été blanchis. Et l’avocat Ashwin Ramdin, qui était accusé d’avoir abusé de son pouvoir en tant que vice-président exécutif, Ressources humaines & Développement organisationnel à Air Mauritius. Par ailleurs, Shakeel Mohamed intente un procès en réclamation de dommages de Rs 50 millions à l’État et à la police.

Incarcération inconsidérée

Pete Weatherby, Queen’s Counsel de Manchester, s’est montré très critique envers ce système de charge préliminaire lors de son passage à Maurice. Pour lui, un système robuste doit être adopté car, dit-il, un manque de contrôle judiciaire approprié mène à une incarcération inconsidérée. Selon lui, les charges provisoires causent préjudice aux suspects, avait-il soutenu à l’express. «La police place une personne en état d’arrestation sans réelle protection

Mario Nobin : «La police a fait son travail»

Interrogé par l’express lundi 10 octobre, Mario Nobin explique que «la police a fait son travail» et que c’est la cour qui a rayé les charges. Le commissaire de police soutient également que depuis longtemps – il ne peut dire précisément quand – la police a revu ses méthodes de travail. «Quand un cas est flagrant avec des preuves évidentes, tangibles, la police dépose la charge provisoire. Mais dans des cas complexes, le dossier est envoyé au bureau du DPP», fait valoir Mario Nobin.

Anil Bachoo : «C’était une vendetta politique»

Anil Bachoo a poussé un ouf de soulagement hier. L’ancien ministre des Infrastructures publiques a vu les charges retenues contre lui, soit conspiracy et using his office for public gratification, rayées en cour de district de Port-Louis. C’est la magistrate Adila Hamuth qui a prononcé le jugement après que l’avocat de la poursuite, Me Ronish Bungaroo, a, sous les instructions du Directeur des poursuites publiques (DPP), indiqué qu’il n’y avait aucune preuve pour maintenir les charges.

À sa sortie de la cour, l’ex-ministre rouge n’a pas manqué de souligner que c’était «une victoire pour le PTr» et que les accusations à son encontre étaient «une vendetta politique». C’est en 2015 qu’un officier de la National Development Unit (NDU) l’avait accusé d’avoir alloué des contrats sans appel d’offres.

Après avoir remercié ses hommes de loi, Mes Yatin Varma, Raj Pentiah et Rama Valayden, et sa famille, Anil Bachoo a indiqué qu’il n’oublierait jamais les moments difficiles qu’il a passés et «la façon dont on a procédé à [son] arrestation». Il a soutenu qu’il a toujours fait son travail correctement et qu’il compte plus de 39 ans dans l’arène politique. «Je dis un grand bravo à ceux qui ont travaillé avec moi à la NDU», a-t-il déclaré.

 

«La décision du DPP est contestable»

Pourquoi les charges contre des proches de l’ancien gouvernement tombent-elles comme des mouches devant la justice ? Un ancien homme de loi ayant exercé pour le ministère public explique que lorsque le DPP décide de ne pas aller de l’avant avec une affaire, c’est qu’il n’y a pas suffisamment de preuves beyond reasonable doubt pour démontrer en cour que l’accusé est coupable.

«Je ne sais sur quoi se base la police. C’est facile de recueillir des allégations. Mais pour l’avocat de la poursuite, il ne peut se présenter devant un tribunal en sachant que le procès est perdu d’avance. Cela s’applique pour tous les dossiers déposés au bureau du DPP», indique-t-il.

Ajoutant que celui-ci ira de l’avant avec une affaire pour une poursuite au pénal seulement si celle-ci satisfait les principes de l’Evidentiary test (NdlR, critères fondés sur des preuves).

Révision judiciaire de la décision du DPP

Notre interlocuteur fait ressortir que quelqu’un qui a un intérêt dans le procès peut toujours saisir la Cour suprême pour une révision judiciaire de la décision du DPP, comme c’est le cas dans tout autre juridiction du Commonwealth.

Il rappelle l’affaire Raju Mohit. Après deux revers, l’homme d’affaires a, en 2004, contesté devant le conseil privé de la reine la décision de la Cour suprême. Celle-ci avait donné raison au DPP de stopper toute private prosecution qu’il avait intentée à Paul Bérenger pour «harbouring a criminal», à savoir Toorab Bissessur, impliqué dans le triple assassinat à la rue Gorah Issac, le 26 octobre 1996, sans justifier sa démarche.

Siddhartha Hawoldar, avocat au pénal: «La charge provisoire a fait ses preuves»
 

 

Navin Ramgoolam, Rajiv Beeharry-Panray, entre autres, ont vu les charges contre eux être rayées.

Il y a de multiples raisons pour que des charges provisoires soient rayées. La cour est en mesure de suivre l’évolution d’une enquête. Dans certains cas, au bout de deux ans, le magistrat peut rayer l’affaire car l’enquête prend trop de temps. Cela ne veut pas dire la fin de l’instruction. Le DPP peut revenir plus tard avec un dossier solide pour déposer un procès formellement.

Plusieurs de ces cas ont en commun une absence de preuves. Quelles sont les autres raisons ?

Le magistrat peut rayer une affaire sur instruction du DPP. Ce dernier dépose une motion pour l’abandon de charge. La défense peut aussi demander de rayer l’affaire. La cour tranche après un débat. Cette dernière intervient aussi quand la police ne donne rien de concret.

Selon vous, n’est-il pas temps d’avoir un nouveau cadre légal par rapport aux charges provisoires ?

Le Provisional Charge est une procédure qui a fait ses preuves, pourquoi changer ? Le système a plusieurs fondements et has stood the test of time. La charge provisoire a été un moyen d’instruire un dossier devant la justice, soit arrêter une personne sur la base de soupçons. Puis, c’est au DPP de trancher.

N’avez-vous pas l’impression que la police abuse de la charge provisoire ?

La police fonctionne selon plusieurs paramètres et selon les lois. Les Judge’s Rules lui donnent des pouvoirs pour interroger des suspects. Les Standing Orders et les Police Duties, pour mener une enquête. La police doit suivre toutes les règles. La charge provisoire est un des moyens de référer un cas avec des informations au sujet d’un délit.

Face à ces charges qui sont rayées en cour, la police dit avoir changé de méthodes.

Pourquoi changer un système qui a fait ses preuves ? D’autant plus que nos lois se sont adaptées au fur et à mesure avec de nouvelles législations et des cas ayant fait jurisprudence. Qui aurait dit qu’on pouvait poursuivre le DPP ? Beaucoup réclament le Police and Criminal Evidence Bill. Mais ce projet de loi vient simplement donner force de loi aux pratiques déjà existantes.

Depuis des années des personnes arrêtées, puis traduites en justice, ont vu les charges provisoires contre elles être rayées. Quels sont les recours?

Les personnes lésées doivent respecter les procédures pour avoir une chance d’obtenir réparation. Il est impossible de poursuivre un policier en service au civil. Les policiers sont les représentants de l’État. C’est à l’État qu’il faut servir une mise en demeure.

Il faut être rapide car le délai pour des poursuites est de deux ans. Même si les policiers sont protégés par le Public Officers Protection Act, il est possible de réclamer réparation. Il faut pouvoir prouver la faute professionnelle commise sur le plaignant. Exemple, dans l’affaire Kaya, la femme de ce dernier a obtenu réparation de l’État.

Toutefois, si un policier a commis un acte en dehors de son service, il est passible de poursuites en son nom personnel. Surtout dans des accidents de la route impliquant un policier.

 

Raouf Gulbul, avocat proche du gouvernement : «Impossible d’avoir réparation au civil pour arrestation arbitraire»



 

Navin Ramgoolam, Shakeel Mohamed, Hurrydeo Bholah, Anil Bachoo… Autant de personnalités qui ont vu les charges portées contre elles être rayées en cour…

Ce n’est pas nouveau, cette pratique. Le DPP est le seul à décider s’il faut poursuivre une personne ou pas. Dans des cas, le DPP a décidé que la cour doit rayer l’affaire, faute de preuve. Il coule de source que le magistrat va rayer l’affaire. N’oublions pas que Maurice est un pays de droit.

La police aurait donc arrêté toutes ces personnes sans preuve ?

Dans le dernier cas rayé en cour, c’est sur ordre du DPP que la cour a statué de rayer les charges. Dans d’autres cas, la cour, dans son indépendance, a rayé des accusations provisoires faute de preuves concrètes contre un prévenu.

N’avez-vous pas l’impression que la police abuse de la charge provisoire ?

Je ne dirais pas qu’elle abuse de cette pratique. Je dirais que le système a permis de procéder à des arrestations sans fondement. Combien de fois la police n’a pu prouver des éléments recueillis devant la cour.

Le pouvoir d’arrestation doit avoir des paramètres bien définis. Depuis que j’exerce comme avocat, la charge provisoire a été décriée et l’est toujours en 2016. Il faut changer de cadre légal. Cette pratique ne peut plus perdurer.

N’est-il pas temps d’apporter un cadre légal approprié ?

En 33 ans de pratique, j’ai toujours dénoncé les arrestations arbitraires. C’est inadmissible d’arrêter quelqu’un sur la base d’une simple allégation. Cela cause un tort immense au prévenu. Surtout lorsque ce sont des allégations infondées.

La police doit changer sa manière de faire. Elle doit recueillir des preuves et des informations pour constituer un dossier solide qui peut être défendu devant une cour de justice. Le pouvoir de la police doit être clairement défini dans nos lois pour réglementer quand il faut arrêter ou pas une personne.

Que conseillez-vous à la police pour remédier à ces manquements ?

Toutes les arrestations doivent être justifiées. Il est important que la police soit formée afin de savoir où commence et où se termine son pouvoir. Nos lois existantes sur la charge provisoire sont dépassées.

Le Police and Criminal Evidence Bill est le cadre légal pour réglementer le pouvoir d’arrestation de la police. Surtout savoir comment mener une enquête et les délais inscrits pour porter une affaire en cour.

Depuis des années, des personnes arrêtées, puis traduites en justice, ont vu les charges provisoires contre elles être rayées. Quels sont les recours ?

Il est quasiment impossible d’avoir réparation au civil pour une arrestation arbitraire. Il y a des moyens bien définis pour poursuivre l’État mauricien. Il faut servir une mise en demeure à l’État, puis entrer un procès contre lui dans un délai de deux ans.

Toutefois, les policiers sont protégés par le Public Officers Protection Act. Le plaignant devra venir démontrer qu’il y a eu faute grave contre sa personne, comme avoir perdu son travail et la souffrance endurée par sa famille. Dans plusieurs cas, ces personnes n’ont pas obtenu gain de cause.