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Joëlle Marie-Jeanne: l’espoir malgré la maladie mentale

9 octobre 2016, 11:24

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Joëlle Marie-Jeanne: l’espoir malgré la maladie mentale

La maladie mentale n’est aucunement synonyme de folie furieuse. Joëlle Marie-Jeanne est la preuve qu’une personne atteinte de bipolarité peut réussir sa vie et progresser à son rythme. En marge de la Journée mondiale de la santé mentale, observée le lundi 10 octobre, elle témoigne à visage découvert pour démystifier les troubles mentaux.

Rien dans le physique – et encore moins dans le comportement – de Joëlle Marie-Jeanne, 49 ans, n’indique qu’elle souffre de bipolarité. Cette détentrice d’un brevet de technicien supérieur, d’une licence d’assistante de gestion et d’un Post-Graduate Certificate in Education a enseigné le français pendant un an dans un établissement confessionnel et donne aujourd’hui des cours de français à domicile à une élève en Form III. Deux fois la semaine, elle participe à la confection de repas et de gâteaux à Friends in Hope, organisation non gouvernementale qui encadre les personnes souffrant de maladies mentales.

Elle conduit sa propre voiture

Ayant réussi un cours de pâtisserie auprès de l’École hôtelière, ainsi qu’un cours de décoration et de cuisine, elle prend aujourd’hui des commandes de gâteaux. Mais sans se mettre la pression. Et le dimanche, elle enseigne la catéchèse à l’église anglicane de St-Paul. Cela fait 16 ans qu’elle conduit sa propre voiture.

Les symptômes de la maladie mentale sont apparus chez Joëlle Marie-Jeanne sur le tard, soit à l’approche du baccalauréat. Elle passe les sept premières années de sa vie au Kenya. Lorsque les Marie-Jeanne regagnent le pays, elle est admise au Lycée Labourdonnais où elle excelle en langues. Elle est aussi douée en sports, qu’elle pratique par plaisir.

Au niveau scolaire, elle fait partie de ceux qui ont les meilleures notes de la classe jusqu’en seconde. En classe terminale, elle se pose des questions sur son avenir professionnel et sentimental. Comme le baccalauréat n’est pas loin, elle sent le poids de la compétition sur ses épaules.

Un départ qui se passe mal

Plusieurs facteurs contribuent à la déstabiliser. Elle obtient une bourse d’études d’un mois en Allemagne, mais le jour de son départ de Maurice, tout se passe mal. Il y a une alerte à la bombe à Plaisance et elle est fouillée. Cela la bouleverse. Elle rate son vol de connexion, atterrit dans une autre ville et se voit forcée de prendre le train. Pour clore le tout, une fois qu'elle est à destination, le responsable du groupe ne veut rien entendre et lui fait des reproches. Bien que le reste de son séjour se déroule sans anicroche, elle sort peu de peur de se perdre et toutes sortes d’idées négatives lui passent par la tête.

Et à son retour dans l’île, Joëlle a changé. C’est le repli. «Je ne voulais plus aller à l’école, ni faire du sport et encore moins parler à mes parents. J’éprouvais une espèce de dégoût de la vie et les choses simples à faire me paraissaient insurmontables.» Elle accumule tellement d’absences que ses notes s’en ressentent. Comme elle refuse d’aller voir un psychologue, estimant qu’elle n’est pas folle, sa mère l’emmène voir sa pédiatre qui diagnostique une dépression et recommande des vacances outre-mer immédiates.

«Je ne parlais pas, de peur que les gens se moquent de moi»

Elle ne prend pas part à l’examen et au retour, elle refait son année. Elle s’isole alors davantage. «Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Je ne parlais pas, de peur que les gens se moquent de moi. J’étais incapable de me ressaisir.» Son enseignant de mathématiques lui rend visite et démystifie l’examen du baccalauréat en lui disant que ce n’est qu’un examen. Rassurée, elle passe les épreuves et réussit.

Joëlle Marie-Jeanne est bien décidée à faire des études supérieures. Comme elle veut enseigner la biologie, elle s’envole pour La Réunion où elle entame une licence en science et nature avant d’obtenir une bourse de l’Alliance française et de changer de filière, optant pour les lettres modernes.

Pendant les vacances, elle se rend avec sa mère en France et en Grande-Bretagne, avant d’aller seule chez une amie en Irlande. Là-bas, elle fait de nouveau l’expérience de la déprime propre aux troubles bipolaires, avec des crises. Sa mère doit venir la chercher pour la ramener à Maurice. Elle repart à La Réunion et le fait d’être obligée de quitter le campus pour un autre logement la perturbe. Au point où elle est admise à l’hôpital psychiatrique.

Comportements extrêmes

Ses parents l’accompagnent en Afrique du Sud, où elle subit une batterie de tests. C’est là que l’on découvre qu’elle est atteinte de troubles bipolaires. Mal qui se caractérise par des comportements extrêmes. «Lorsqu’elle va bien, la personne bipolaire fait tout à l’excès. Et après, c’est la déprime au point de toucher le fond.» Les médicaments qui lui sont prescrits l’aident, mais ils s’accompagnent d’effets secondaires terribles, comme une grande fatigue, des vertiges et une importante prise de poids.

De retour à Maurice, elle suit des cours de dessin, de cuisine mais pas de manière régulière. «Vu de l’extérieur, on aurait pu croire que je faisais des caprices mais ce sont les signes de la maladie. Le plus gros problème avec le malade mental, c’est que dès qu’il va mieux, il arrête la prise de médicaments alors que c’est la chose à ne pas faire.»

Elle reprend ses études, obtenant les diplômes mentionnés plus tôt, travaille à l’Institut Orian pendant cinq ans et donne des cours de français dans un collège confessionnel. Elle se sent tellement bien qu’elle veut vivre seule. Un médecin est bluffé et lui dit qu’elle peut arrêter son traitement. C’est la rechute, accompagnée de comportements extrêmes. Après deux mois d’internement à l’hôpital Brown-Séquard, elle va mieux et, à sa sortie, ses parents lui proposent un compromis : ils lui louent un studio au Carmel, à Bonne-Terre. «Depuis 2012, je me sens nettement mieux. Je prends mes médicaments comme il le faut et je suis suivie régulièrement. Cela va de mieux en mieux.»

Médicaments contre-indiqués pour la grossesse.

Elle reconnaît avoir mis dix ans pour accepter sa maladie. «Cela a été difficile d’accepter qu’à un âge où l’on pourrait avoir des enfants, il vaut mieux l’éviter car les médicaments sont contre-indiqués pour la grossesse. Cela a été dur d’accepter que je ne serai jamais totalement indépendante car mes parents paient mon studio. J’ai eu du mal à me faire à l’idée que je ne pourrai travailler à plein-temps. Mais aujourd’hui, je me dis que même si je ne fais pas de grandes choses dans la vie, comme devenir secrétaire administrative ou rectrice d’une école, ce que je suis capable de faire, je le ferai de mieux en mieux car la maladie mentale est une maladie chronique dont il faut contrôler les symptômes par des médicaments. Il ne faut pas la considérer comme dangereuse. C’est un trouble de la personnalité qui se traite bien. On peut vivre sa vie comme je le fais et être très heureuse. Je le suis…»

Joëlle Marie-Jeanne estime qu’il faudrait offrir le travail à temps partiel sur une plus grande échelle à Maurice. «Ce système de travail serait bénéfique à un grand nombre de personnes, y compris à celles souffrant d’une maladie mentale.»

Marche de solidarité le 15 octobre

<p>Pour marquer cette Journée mondiale de la santé mentale,&nbsp;observée le lundi 10 octobre,<em> </em>Friends in Hope organise une marche de solidarité, le samedi 15 octobre. Le point de départ est à 10 heures à La promenade Roland Armand<em> </em>(au collège Lorette de Rose-Hill). Les marcheurs déambuleront jusqu&rsquo;à l&rsquo;hôpital Brown-Séquard, et ce, au rythme des mélodies de l&rsquo;orchestre de la police.</p>