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Nina et François Bousoula: doudoune, combinaison gagnante

25 septembre 2016, 19:15

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Nina et François Bousoula: doudoune, combinaison gagnante

Comment travailler pour soi quand on n’a pas eu une longue scolarisation et qu’on ne dispose pas de grands moyens ? C’était l’équation qu’ont longtemps tenté de résoudre Nina et François Bousoula. Ils y sont parvenus grâce à la confection de doudounes.

Qui aurait cru qu’il y a à Maurice un fabricant de doudounes, cette grosse veste très chaude, généralement en tissu synthétique, rembourrée de duvet ou de ouate, portée par les alpinistes, les campeurs, les fanas de sports d’hiver, ceux qui doivent affronter les rigueurs des hivers des hémisphères nord ou sud ou encore les travailleurs de chambres froides qui font -40 degrés ? C’est pourtant le cas. Ces vestes, combinaisons, pantalons et bonnets bien rembourrés et leurs versions un peu plus légères pour des températures moins extrêmes sont fabriquées par Cold Room Equipment Enterprise (CREE), petite entreprise familiale établie en 2007 par Nina et François Bousoula, qui sont aidés par leurs fils Moïse et Josué. Les Bousoula ont aménagé leur atelier à l’arrière de leur petite maison à Pailles.

Pour honorer les commandes, ils travaillent dur, se mettant à la tâche dès 7 heures pour n’aller se coucher que vers 23 h 30 et ce, sept jours sur sept. Les seules interruptions dans ce travail à la chaîne étant leur pause repas au quotidien et celles du culte, le mardi et le samedi. Ce qui fait que l’énorme téléviseur à écran plat figurant dans leur salon, acheté par Moïse dans le but de voir les matchs de l’Euro 2016, fait davantage figure d’objet décoratif qu’utilitaire.

Mais Nina et François Bousoula ne se plaignent pas. Au contraire, ils louent le ciel car aujourd’hui, ils arrivent à nourrir leurs fils et à manger à leur faim. Il n’en a pas toujours été ainsi. François, Rosehilien de naissance, est issu d’une famille modeste de huit enfants. Nina, de son côté, est fille d’un stevedore de la Cargo Handling Corporation et la famille compte sept enfants. Les deux n’ont pas été en mesure de terminer leurs études secondaires car il y avait tant de bouches à nourrir qu’il leur fallait absolument travailler pour contribuer aux dépenses familiales. C’est ainsi que tous les deux ont pris le chemin de l’usine. À l’époque, la zone franche manufacturière était en plein essor. François a été embauché comme machiniste dans une usine à Plaine-Lauzun, Nina dans une autre et pour le même emploi avant d’être nommée responsable du store.

C’est dans cet univers manufacturier que leurs routes se sont croisées et qu’ils sont tombés amoureux. François a toujours nourri l’ambition de se mettre à son compte un jour. Il a fini par passer à l’acte, ouvrant un petit atelier de couture à domicile et prenant des commandes de vêtements pour hommes, dames et enfants. Les temps étaient durs mais François a fini par tomber sur un entrepreneur, Patrick Laverdan, qui possédait un magasin de prêt-à-porter de plage à Tamarin. Appréciant la méticulosité de François et la qualité du travail fourni par ce dernier, l’homme d’affaires leur a procuré quatre à cinq machines à coudre et ils sont devenus son sous-traitant en shorts de plage. «Toute la famille prêtait main-forte – une mère repassait, un beau-frère enfilait le fil dans la machine, deux sœurs et un frère cousaient alors que François et moi nous étions à la coupe.»

Ce travail à multiples mains leur a permis de fournir une centaine de shorts de plage par mois. En 1990, Nina et François ont décidé de se passer la bague au doigt et ils ont continué à coudre pour la boutique de l’homme d’affaires. Lorsque François a décidé de travailler pour lui, Patrick Laverdan qui s’est montré très gentil à leur égard, leur a donné de l’argent en compensation pour qu’ils s’équipent en machines. Ils en ont acheté quatre et en 1991, François et Nina ont ouvert leur atelier à domicile. N’ayant plus de commandes de l’entrepreneur, leur situation est devenue précaire. Et cela correspondait à la naissance de Moïse et de Josué, respectivement 23 et 22 ans aujourd’hui.

Le travail était si rare qu’à un moment, le couple Bousoula a touché le fond. «Inn arivé souvan ki péna manzé dan lakaz. Belmer, belser, tou létan inn amenn pou nou», raconte le couple. À tel point que Nina a été contrainte de reprendre le chemin de l’usine et a trouvé de l’embauche dans une entreprise de sérigraphie à Pointe-aux-Sables. Si cela lui a changé la vie de travailler en étant assurée d’un salaire fixe, elle a vite déchanté car un matin, en arrivant sur son lieu de travail, ses collègues et elle ont trouvé les portes closes, leur employeur français ayant mis la clé sous le paillasson sans avertir quiconque. Elle a été contrainte de retrouver l’atelier de son mari et à démarcher pour trouver des commandes de prêt-à-porter. Nina a réussi à placer des shorts chez un marchand qui a une table au marché central à Port-Louis. «Mo ti éna enn marsan atitré ki ti dir mwa ki mo éna bon lipié é kouma mo arivé, so travay marsé.» Avec leurs maigres gains, ils vivotaient.

Jusqu’à ce que François ait l’idée de rembourrer davantage une veste capitonnée qu’il possédait et de la transformer en doudoune, sans réaliser qu’elle servirait de prototype à ses futures confections. Lorsqu’il a vu la veste refaite, le père de Nina, connaissant le savoir-faire de François et étant conscient que les travailleurs descendant dans les chambres froides aménagées dans les cales des bateaux de pêche ont besoin d’être bien chauffés, décide alors de démarcher pour eux. C’est ainsi qu’ils démarrent avec quelques clients. Sentant qu’ils ont flairé le bon filon, ils décident alors de se lancer officiellement dans cette voie et mettent sur pied leur petite entreprise nommée CREE qu’ils aménagent dans un atelier à domicile. Ils fabriquent alors des doudounes, des pantalons rembourrés, des vestes plus légères et des chapeaux pour les employés des chambres froides. C’est Nina qui va acheter les tissus en polyester, en jogging, de même que la ouate et tout ce qu’il faut pour coudre ces doudounes.

Aujourd’hui, ils ont réussi à fidéliser quelques gros clients comme Avipro, Panagora, Froids des Mascareignes, quelques hôtels qui ont des chambres froides mais aussi des particuliers qui montent à moto ou qui voyagent vers des pays particulièrement froids. Le volume de travail ayant augmenté, Nina et François ont été rejoints par Moïse, qui a quitté le magasin de prêt-à-porter où il travaillait à Bagatelle pour les épauler. Josué qui a complété sa scolarité et que son père qualifie «d’intellectuel de la famille», s’occupe de l’administration de CREE.

Leurs commandes sont régulières, soit une centaine de vestes par mois. Et lorsque la demande pour les doudounes se fait rare, il y a toujours des réparations à faire. «Une doudoune a une durée de vie de deux à trois ans mais au bout de deux ans, une fermeture éclair peut se casser. Nous sommes là pour effectuer les réparations.» François veille au grain pour que les vestes et autres doudounes sortant de son atelier soient impeccables. «So lizié mem enn santimet», dit Nina de son mari pour expliquer qu’il ne laisse rien passer. Voilà qui explique aussi pourquoi «zamé nounn gagn répo ar klian».

Cette petite entreprise permet à la famille Bousoula de mener une vie décente. L’idéal pour eux serait d’avoir un petit showroom pour exposer leur savoir-faire et augmenter leur production. Mais pour cela, il leur faudrait des bras supplémentaires et ils ne sont pas encore en mesure d’embaucher.

Bien qu’ils n’aient pas vraiment de vie sociale, ils sont reconnaissants envers leurs fournisseurs et leurs clients. «Nou pa travay ar plégné. Dépi kot nou sorti la, sa travay-la nou trezor sa…»