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Colombie: un guérillero mutilé mais sans amertume et prêt pour la paix

21 septembre 2016, 18:19

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Colombie: un guérillero mutilé mais sans amertume et prêt pour la paix

 

Une main emportée par une bombe, l’autre réduite en charpie. Sous l’oreille, la trace d’une balle passée trop près. Rompu au combat et néanmoins serein, ce guérillero des Farc s’apprête maintenant à troquer son AK47 pour la paix en Colombie.

«Cela faisait quatre ou cinq ans que j’étais dans la guérilla. On bombardait des soldats (...) quand un mortier s’est enrayé. Je n’étais pas très expert en explosifs. Mais je l’ai attrapé pour arranger ça et il a pété», se souvient Luis Quintiva, nom de guerre de ce combattant des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) qu’il a intégrées en 1999, à 23 ans.

Resté inconscient, il se réveillera, infirme, sur une civière d’un hôpital de campagne de la guérilla, parfaitement équipé et d’une capacité de 70 à 80 lits, a-t-il raconté à l’AFP, assis à l’ombre d’une bâche de camouflage, en marge de la conférence des Farc, réunie à El Diamante (Caqueta, sud-est) pour ratifier la paix conclue avec le gouvernement après 52 ans de conflit armé.

«Au bout de cinq mois, j’en suis sorti, bien. Avec cette amputation», dit-il, sans cesser de sourire en dressant pudiquement le moignon de son bras gauche. «Mais il y avait un problème avec la main droite et j’ai été transféré à Bogota.»

Une folie de jeunesse

Soigné dans une clinique privée comme un civil blessé dans un accident de moto, il retournera dans la jungle avec une main partiellement reconstruite et une prothèse. Qu’il perdra deux ans plus tard dans le sauve-qui-peut d’un bombardement de l’aviation colombienne.

Car une fois rétabli, Luis, 40 ans aujourd’hui, n’a pas hésité à rejoindre son unité du Front 27 du Bloc Oriental, le plus important des Farc, né en 1964 d’une insurrection paysanne et qui compte encore 7.5000 combattants armés.

Troisième de cinq enfants, élevés par une mère veuve dans la localité rurale de Vistahermosa (Meta), il est entré en rébellion sur «une folie de jeunesse», puis s’est au fil du temps «construit une conscience révolutionnaire par l’expérience acquise dans la guérilla».

Cet homme au regard tranquille ignore s’il a un jour tué: «Les coups de feu partent de ci, de là. Mais on ne voit pas l’autre tomber». Mais il est fier de n’avoir jamais «été peureux ou lâche». «On m’envoyait au combat comme les autres guérilleros. Il m’est resté le doigt pour appuyer sur la gâchette.»

Et de le démontrer en empoignant un fusil israélien Galil 223, qu’il démonte et remonte habilement de ses membres mutilés, alors que la sueur perle à ses tempes dans la chaleur implacable des Llanos del Yari, vastes plaines au coeur du Caguan, le bastion des Farc.

Psychothérapie payée par les Farc

Les premiers temps après l’accident n’ont pas été simples. «Qui ne se sentirait pas mal en sachant qu’il a perdu une main, qu’il n’est quasiment plus que la moitié de lui-même, qu’il est inapte à se mettre au service de l’autre?» Mais «les Farc ont tout payé», y compris une «thérapie avec un psychologue» grâce à laquelle il a «récupéré du traumatisme».

Luis aurait pu quitter la rébellion avec un pécule de 20 millions de pesos (environ 65.000 dollars). Mais se jugeant alors trop «handicapé» pour travailler dans le civil et conscient que l’argent ne durerait pas longtemps, il est resté. Avant d’être à nouveau blessé: une balle passée si près qu’elle lui a laissé une large cicatrice juste sous l’oreille gauche.

Pourtant il «ne regrette rien», si ce n’est de ne pas avoir continué l’école au delà du primaire. «Que va-t-il se passer pour nous qui n’avons pas fait d’études?», s’inquiète-t-il.

Cela ne l’empêche pas de rêver de se former aux systèmes informatiques de réseau ou... à la chanson. «Si le gouvernement nous apporte vraiment de l’aide à nous les handicapés (...) j’aimerais être chanteur», sourit Luis, précisant qu’avant, il jouait de la guitare. Maintenant, ce sont les autres qui l’accompagnent: «Je chante ainsi et ils jouent», dit-il en entonnant un air populaire de sa région.

Il voudrait aussi qu’une fois signée le 26 septembre par le président Juan Manuel Santos et le commandant en chef des Farc, Timochenko, «la paix soit effective pour tous, pour le peuple tout entier». «Nous allons laisser les fusils!», lance-t-il, en se disant prêt à abandonner son AK 47, l’une des nombreuses armes qu’il a portées.

En attendant, Luis profite du bonheur d’avoir retrouvé son jeune frère Gabriel, 34 ans, venu lui aussi assister à la conférence. Tous deux combattants du Bloc Oriental, ils ne s’étaient pas vus depuis seize ans. «Nous n’avons jamais été ensemble.»