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Controverse au Nigeria sur la seconde «rescapée de Chibok»

20 mai 2016, 22:23

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Controverse au Nigeria sur la seconde «rescapée de Chibok»

 

La seconde lycéenne nigériane retrouvée par l’armée cette semaine ne fait pas partie des 219 otages de Chibok, dénoncent les familles et proches des victimes, au moment où le gouvernement d’Abuja est accusé d’exploiter ces découvertes à des fins politiques.

Selon l’armée nigériane, Serah Luka, la fille d’un pasteur, originaire de Madagali, dans l’Etat d’Adamawa (nord-est), se trouvait parmi un groupe de 97 femmes et enfants secourus jeudi vers Damboa, dans l’Etat voisin de Borno, au cours d’une opération militaire contre les islamistes de Boko Haram.

Mais Yakubu Nkeki, le président de l’association des parents des otages de Chibok, est formel : Serah Luka «ne fait pas partie» de la liste des 219 filles portées disparues depuis leur enlèvement par les islamistes le 14 avril 2014 dans le lycée public pour filles de Chibok.

A son tour, Sesugh Akume, le porte-parole de «Bring Back Our Girls» (BBOG), qui milite pour leur libération, a estimé que Serah Luka était bien une élève du lycée de Chibok, mais qu’elle ne se trouvait pas dans la même classe que les filles enlevées le 14 avril.

«Elle était en SS1 à Chibok et elle a été kidnappée par les insurgés dans sa maison, à Madagali», à quelque 150 km de là, dans l’Etat voisin d’Adamawa, a-t-il expliqué, sans préciser à quelle date. Le SS1 est l’équivalent de la classe de seconde en France. Or les 219 lycéennes se trouvaient en SS3, l’équivalent de la terminale.

A peine quelques heures avant cette annonce, le président nigérian Muhammadu Buhari avait considéré que la découverte mardi d’Amina Ali, la première rescapée de Chibok, offrait «de nouveaux espoirs» et «une opportunité unique en termes d’informations vitales» sur les autres captives.

Amina Ali, âgée de 19 ans, a été trouvée mardi par l’armée et des milices locales avec son bébé de quatre mois et un homme qu’elle présente comme son mari et que l’armée décrit comme un «terroriste présumé», près de la forêt de Sambisa, bastion de Boko Haram.

Jusqu’à la découverte d’Amina Ali, cette semaine, on était sans nouvelles des 219 lycéennes de Chibok, dont l’enlèvement avait ému le monde entier.

- 'Cirque médiatique' -

Amina Ali a été transportée jeudi avec sa mère et son bébé à Abuja, la capitale, par avion, pour y rencontrer M. Buhari. Les deux femmes, qui se sont couvert la tête d’un foulard pour tenter d’échapper aux médias, ont ensuite été largement photographiées avec le président.

M. Buhari, au pouvoir depuis un an, a fait de la lutte contre Boko Haram - dont l’insurrection a fait plus de 20.000 morts depuis 2009 - une des priorités de son mandat. Il a affirmé qu’Amina Ali avait déjà subi de nombreux tests médicaux et promis qu’elle recevrait «les meilleurs soins que le gouvernement nigérian peut lui fournir».

Pour Mausi Segun, chercheur pour Human Rights Watch (HWR) au Nigeria, cependant, les premiers jours de liberté d’Amina Ali auraient dû être consacrés à sa santé mentale et à celle de sa fille, «avant qu’on ne se mette à faire tourner les caméras et qu’on ne tire des bénéfices politiques de sa découverte».

Tsambido Hosea Abana, qui dirige à Abuja une communauté de personnes originaires de Chibok, a lui aussi accusé le gouvernement de «traiter Amina comme un objet», dans un communiqué diffusé jeudi.

«Il s’agit d’une jeune femme traumatisée, qui a besoin de soins dans l’immédiat et pas de tout ce cirque médiatique», y a-t-il poursuivi.

Le gouvernement nigérian a dit avoir reçu une «preuve de vie» des otages de Chibok par vidéo, plus tôt cette année. Un document accueilli avec méfiance, les autorités ayant du mal à définir si les auteurs de la vidéo avaient autorité, au sein de Boko Haram, et la réelle capacité d’engager des pourparlers.

Avant cela, aucune image des lycéennes n’avait été diffusée depuis une vidéo de Boko Haram datant de mai 2014, où l’on voyait un groupe de jeunes filles en hijab récitant des versets du coran.

Pour certains experts, la réapparition d’Amina Ali serait moins le fruit d’une action militaire qu’un signe de «bonne volonté» de la part du groupe islamiste, qui l’aurait tout simplement libérée, en vue de pourparlers.

Pour Ryan Cummings, spécialiste des questions de sécurité dans la région, «cela semble assez incongru que l’otage (Amina), son enfant et son mari, (membre) de Boko Haram, tombent ainsi sur des miliciens, comme cela a été décrit».