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Paul T. Jones: «Notre réputation et notre marketing sont entre les mains de nos clients»

13 avril 2016, 15:37

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Paul T. Jones: «Notre réputation et notre marketing sont entre les mains de nos clients»

La dernière édition de la Harvard Business Review consacre une étude de cas à la réussite du groupe Lux* Resorts and Hotels. Une réussite rendue possible grâce à un rehaussement continu du niveau des services du groupe, selon le Chief Executive Officer, Paul T. Jones.

Lorsque vous avez pris les commandes du groupe hôtelier, qui était alors connu comme Naïade, il était endetté. C’était en 2010. Cinq ans après, l’entité, rebaptisée Groupe Lux*, est non seulement profitable mais s’est fait un nom sur le plan mondial. Une performance d’ailleurs reconnue par les rédacteurs de la Harvard Business Review. Dans sa dernière édition, la revue consacre un article à votre performance. Quelle est la recette de Paul Jones pour transformer un échec en réussite?

Si réussite il y a eu, il ne faut pas l’attribuer qu’à la personne de Paul Jones. Cette réussite est le résultat d’un travail d’équipe. Je n’ai été qu’un facilitateur et un animateur de la dynamique insufflée dans le groupe lorsque j’ai pris les commandes en 2010.

Sur quel fondement cette dynamique reposait-elle ?

Elle s’est appuyée essentiellement sur le capital humain. Lorsque j’ai pris les commandes du groupe Naïade, il était endetté de façon irréversible. On n’avait tout simplement pas d’argent. Je me suis même posé la question quant à mon empressement à relever le défi qui s’est présenté à moi.

Et là, je me suis souvenu d’une chose qui m’a marqué à vie. Je suis arrivé ici de mon pays natal, l’Angleterre, en 1975 après avoir passé sept ans en Afrique du Sud. Je ne parlais pas un mot de créole, encore moins de français. J’ai été tout simplement impressionné par les gens. Qu’est-ce qu’ils étaient sympathiques et naturels. Mieux, leur sens de l’accueil a fait que je me suis senti Mauricien parmi les Mauriciens de l’est du pays.

Lorsque je suis arrivé au sein du groupe Naïade, il y a eu certes de l’inquiétude mais j’ai retrouvé les mêmes valeurs qu’en 1975. Le sens de l’accueil, la capacité à mettre l’étranger à l’aise, la simplicité, cette spontanéité à être naturel en permanence dans les rapports, cette disponibilité à s’engager à fond dans une nouvelle aventure professionnelle sont autant de valeurs qui sont restées intactes.

Je me suis dit que notre planche de salut, c’est notre capital humain. J’ai cru qu’il était capable de surmonter les plus gros obstacles. C’était le début de la révolution. J’ai réalisé qu’il fallait se mettre à la tâche le plus rapidement possible.

En quoi consiste cette recette de révolution de service ?

C’est très simple. J’ai d’ailleurs essayé la formule lorsque j’étais au St-Géran. Il s’agit de reconnaître que nous sommes avant tout une société au service de nos clients depuis leur arrivée jusqu’à leur départ à l’aéroport. Le service est notre raison d’être. C’est bien là que la révolution devrait se faire. Elle a consisté à identifier la panoplie de nos services, à en faire un état des lieux et dégager les valeurs qui sont indispensables pour rehausser en permanence la qualité de nos services à notre clientèle.

Quels ont donc été ces facteurs qui vous ont permis d’effectuer une rupture avec le passé?

 Le service, c’est notre mission. Elle allait s’articuler autour d’une vision, de notre raison d’être, de nos valeurs et de nos convictions. Notre vision c’est de considérer que chaque moment compte. Notre raison d’être consiste à aider les gens à célébrer la vie. Nos valeurs, ce sont les personnes, la passion dans l’exercice de nos responsabilités, l’intégrité, le leadership, le sens de la créativité.

Enfin, tous les membres du personnel, du plus petit au plus grand, ont été invités à intérioriser les valeurs que nous préconisons et à les vivre à chaque instant. Ce dynamisme a débouché sur la création de notre marque de fabrique, le label Lux*. Ce label est attribué aux entités du groupe qui en ont le mérite.

Pourquoi le client est-il si important dans la vie d’une société de services engagée dans le secteur hôtelier?

Les enquêtes que nous avons effectuées sont unanimes à reconnaître que ce que recherche notre clientèle, c’est de vivre une expérience avec les gens d’ici, que ce soit à l’hôtel ou ailleurs. La plupart d’entre eux viennent d’un environnement où le stress est quasiment dans toutes les situations de leur vie. Ils viennent ici pour se détendre, pour voir autre chose.

On ne finira pas de mesurer l’impact, sur notre clientèle, des valeurs propres à nous, comme notre sens de l’accueil et de l’hospitalité. Sur ce plan, Maurice possède un atout considérable qui fait la fierté de notre secteur touristique. Ce secteur ne peut survivre qu’en améliorant en permanence la qualité de ses services.

L’émergence des réseaux sociaux a révolutionné la communication tant dans la forme, dans le contenu que dans le mode de retransmission. Quel impact ce phénomène a-t-il eu sur le mode de fonctionnement des hôtels?

L’impact a été pour le moins considérable. Le marketing, ce ne sont plus les agences de promotion qui le font. Les clichés ne font plus recette. Ce sont les clients qui sont venus dans le pays qui, de par leur témoignage, font la promotion de la destination dans un sens ou dans un autre. Le futur visiteur de la destination consulte d’abord les opinions des touristes qui ont visité le pays antérieurement. C’est ensuite qu’intervient le choix de l’hôtel où ils comptent séjourner.

Tout, ou presque, s’articule autour de l’expérience vécue et celle que le prochain visiteur pourra potentiellement vivre. Il y a une tendance des clients à «socialiser» leur expérience. En misant sur son capital humain et ce qui est disponible en abondance à Maurice, le groupe Lux* a réussi son pari de transformer une situation d’échec en une situation de réussite.

Revenons à la formule qui vous a permis de sortir l’ex-groupe Naïade de l’impasse. Cette approche peut-elle être appliquée à l’échelon national?

Ce qui a fonctionné au niveau d’une entreprise, pourquoi devrait-il échouer au niveau national? Après tout, l’économie de Maurice se fonde sur le principe que petit à petit, nous nous inscrivons dans les paramètres d’une destination de service.

C’est d’ailleurs dans cette filière que se trouve l’un des plus importants piliers de notre économie, soit le secteur mauricien des services financiers. Qu’est-ce qui a permis à Singapour de connaître le développement économique qui a été le sien, sinon l’instauration d’une culture de service? C’est quoi une culture de service sinon cette volonté à enrichir une action par de nouvelles valeurs. Un sourire à une personne qui se présente à la caisse, c’est de la valeur ajoutée si on le fait dans le but d’améliorer la qualité de service.

La révolution des services peut être mise en place tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Il suffit d’avoir des gens qui y croient et qui décident une fois pour toutes d’agir et d’y injecter la motivation voulue.

Au cours des dernières années, la posture de bon nombre d’opérateurs du secteur hôtelier a été caractérisée par l’évocation persistante de la roupie forte considérée comme étant la source de tous les maux du secteur. La roupie forte a-t-elle été un problème pour vous?

Lorsque je suis retourné à Maurice en 2010 après une affectation à Londres, la roupie forte était sur les lèvres de bon nombre d’opérateurs. Deux ans auparavant, le monde faisait face à une crise financière.

Je me suis toujours refusé à m’inscrire dans une logique qui consiste à chercher des raisons exogènes pour expliquer mon échec ou pour en faire les conditions de la réussite de notre société. Nous sommes avant tout un prestataire de service dans le secteur hôtelier et non pas des financiers.

C’est à nous de chercher les solutions à nos problèmes. C’est une telle posture qui nous a amenés à investir dans ce que notre capital humain est capable de faire pour révolutionner la qualité de nos services.

La question des chambres d’hôtels versus la disponibilité de sièges à bord des avions a toujours fait débat et a même abouti à des polémiques dans le secteur. Où se situe le véritable enjeu: du côté de l’hébergement ou du côté des transporteurs?

L’enjeu, ce sont les sièges. Un pays de la taille de Maurice a besoin de connectivité. Il fallait opter pour une augmentation du nombre de transporteurs et non pour une stratégie qui cherche à tout prix à conserver les intérêts de la compagnie nationale de transport aérien. Le protectionnisme s’installe là où il y a le refus de jouer la carte de la saine compétition. Or, c’est la compétition qui incite à l’amélioration de la qualité des services et non le protectionnisme. Le moratoire en ce qui concerne la construction de nouveaux hôtels était un mauvais calcul. La preuve a été donnée avec la multiplication des transporteurs. La basse saison sera chose du passé avec la présence, dans notre espace aérien, de nouveaux opérateurs. La venue de Turkish Airlines et notre partenariat avec Singapour dans le cadre du corridor aérien sont de bonnes initiatives, quoiqu’elles ont été envisagées en retard.

En 2018, la Turquie inaugurera le plus grand aéroport d’Europe avec une capacité de 90 millions de visiteurs l’an et la possibilité d’augmenter ce chiffre à 150 millions dans deux ans. L’impact de ce projet de connectivité sera considérable pour notre secteur touristique.

Notre groupe ouvrira un complexe hôtelier, un resort, en 2017 à Bodrum, ville située au sud-ouest de la Turquie. La Chine représente un potentiel énorme. Il n’est pas interdit d’imaginer que ce pays puisse devenir notre marché n° 1. Si cela se produit, on se rendra alors compte que la politique de ne plus construire des hôtels n’était pas la stratégie appropriée.

Le pays traverse une crise politique en raison d’une fuite d’informations concernant les transactions bancaires d’un client, en l’occurrence un membre du gouvernement. Où tirer la ligne entre le principe du secret bancaire et la nécessité d’envoyer le bon signal en matière de bonne gouvernance, de transparence et de volonté de combattre la corruption et les mauvaises pratiques dans le secteur des services financier?

L’enjeu, c’est la réputation mondiale de Maurice. Il est primordial de la protéger en toutes circonstances. Maurice devrait faire la démonstration qu’il est capable de s’imposer les exigences d’un pays qui évolue sur le plan de l’économie globale. La protection du secret bancaire est essentielle pour rassurer les opérateurs qui estiment que Maurice est une destination privilégiée pour des investissements.

Maurice doit être perçu comme une destination où le service est en constante progression en raison d’une culture qui favorise l’inclusion de nouvelles valeurs.

La semence du football professionnel à Maurice a été introduite par vous durant les années de gloire du Sunrise Football Club. Qu’est-ce que Maurice aurait pu réaliser simultanément à ses aspirations de devenir un passage obligé des investissements en Afrique si elle avait réussi à se doter d’une filière de football professionnel?

Aucun leader ne peut aspirer au succès de son entreprise sans les meilleurs talents. J’ai été chercher les meilleurs tels Ashley Mocudé ou Saleem Moossa mais aussi de très bons joueurs malgaches. Nous leur avons donné des outils, un encadrement sain et surtout la motivation. Et la discipline et la motivation ont donné des résultats impressionnants.

Si on rêve grand et on se donne les moyens de réussir, “the sky is the limit”. Notre but, c’était l’Afrique et le monde, et pas seulement Maurice. Ce modèle peut être reproduit partout. On l’a fait chez LUX*. Maurice peut aussi le faire au niveau national tout comme Singapour. Il faudrait une révolution en matière de services à l’échelle nationale qui reconnaîtrait la transformation sociale actuelle fondée sur la performance individuelle pour se focaliser sur le bien-être collectif.

Ce changement devrait contribuer à mieux satisfaire les attentes par rapport à l’environnement de travail. Il devrait également étendre ses effets positifs par rapport aux conditions de vie en général. Une révolution de service à l’échelle nationale, au sein de nos compagnies, de nos écoles, de nos communautés devrait pouvoir nous permettre d’identifier et de prendre en considération les besoins des personnes qui nous entourent. Ce qui devrait nous permettre de prendre les actions appropriées susceptibles de créer plus de valeur pour le bien-être de tous.