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Vinesh Chintaram, urbaniste : «Il est temps de penser à l’humain plutôt qu’à l’économie»

14 février 2016, 15:32

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Vinesh Chintaram, urbaniste : «Il est temps de penser à l’humain plutôt qu’à l’économie»

 

Maurice, pays tropical, est paralysée à chaque grosse averse. Pourquoi ? Qui en est responsable ? Vinesh Chintaram, urbaniste, architecte et homme de terrain, décortique la situation.

 

Commençons par le commencement. À qui la faute ?

Il est tellement facile de trouver un bouc émissaire alors qu’il n’y en a pas. Pas directement, du moins. Le problème de base c’est le changement climatique. Tout le monde en parle, mais de manière abstraite. Nous avons eu des inondations en 2013, nous en avons eu au cours de la semaine écoulée aussi. Les dernières inondations graves avant 2013 remontent à quelques décennies. Comme personne ne peut contrôler le climat, il nous faut donc composer avec. L’île a toujours eu des pluies au mois de février, mais les averses sont plus fréquentes et la pluviosité est plus importante…

 

Mais nous ne pouvons pas mettre de côté le manque de planifications non plus !

Tout à fait ! Personne ne peut nier que certains types de constructions, à certains endroits, causent ce genre d’inondations. Mais pour en revenir au climat, il est alarmant qu’après seulement trois ans, le même phénomène se répète. Cette situation est une conséquence directe du réchauffement de la planète. Revenons à votre première question. Qui est responsable ? Si chacun pense que c’est à son prochain de faire des efforts, c’est cuit. Nous sommes tous responsables.

 

Tous ? C’est-à-dire les autorités, le privé ou les politiciens ?

Peu importe qui vous citez, la réponse sera toujours floue et insuffisante. En tant qu’architecte et urbaniste, j’entends souvent que c’est de notre faute car les constructions se font sans planification. Il faut commencer par des projets et études plus simples et terre à terre et pas des Master plans car ils ont leurs limites.

Puis, il y a le fait que les consultants étrangers sollicités n’ont pas une connaissance approfondie de la réalité du terrain. Redonner vie à une ville est un travail de longue haleine. Il faut savoir ce qui s’y passe au quotidien, il faut être en osmose avec le terrain et faire en sorte que le plan soit adapté à tous les cas de figure climatiques. Un plan doit être évolutif.

 

Comment arrive-t-on à faire ce type de plan évolutif qui résoudra les problèmes liés au climat ?

Il faut savoir ce que les gens veulent pour leur ville, et sans les consulter, personne ne pourra le dire. C’est un travail simple. Pourquoi ne pas créer des groupes de discussion dans des quartiers, pour découvrir ce que veulent les usagers pour leurs villages, villes et pays ? Par rapport aux conclusions, il sera possible de synthétiser les demandes et les attentes, et développer en ce sens. Vous vous souvenez de Porlwi by Light ? C’est la preuve qu’une ville peut se réinventer, il suffit d’avoir la volonté derrière.

 

«LES CONSULTANTS ÉTRANGERS SOLLICITÉS N’ONT PAS UNE CONNAISSANCE APPROFONDIE DE LA RÉALITÉ DU TERRAIN.»

 

La volonté pour changer est là. On parle de la nouvelle ville de Port-Louis. Mais est-ce réalisable ?

Ça l’est, à condition que le développement soit moins tourné vers l’économie et plus vers l’humain. Après l’indépendance, le pays a connu, en quelques années, la même industrialisation que l’Europe sur des siècles. Lorsque la ville a été conçue par Mahé de La Bourdonnais, elle l’a été faite de manière intelligente. Mais une ville est comparable à une éponge. L’éponge peut absorber une certaine quantité d’eau, mais à un moment, il faut l’essorer pour qu’elle en absorbe plus. Depuis l’indépendance, les infrastructures ont été empilées les unes sur les autres sans essorage. À un moment, la ville ne peut plus rien absorber. Il est temps d’y mettre de l’ordre.

 

Mais Maurice ne se résume pas qu’à la capitale. D’où vient le problème dans les autres endroits ?

Prenons Fond-du-Sac. Une personne achète un terrain et y construit sa maison sans demander un avis professionnel. Si le terrain est en contrebas, avec un sol imperméable, sa maison sera submergée à la première averse…

 

La faute revient donc aux autorités locales qui ont octroyé le permis de construction ?

Comment vont-ils savoir quel est ce type de terrain et où il se situe ? Personne n’a jamais établi une carte de Maurice avec les reliefs et les topographies pertinentes. Est-ce que les municipalités sont responsables si elles ne savent pas comment est le terrain ? Est-ce que le propriétaire est responsable car il n’a pas cherché un avis ? Ou est-ce que tous les gouvernements précédents sont responsables car ils n’ont pas établi cette carte ?

 

Mais dans ces régions, la faute revient quand même un peu au comblement des marécages, non ?

Absolument. Et pas qu’un peu.

 

Nous sommes ainsi condamnés à être inondés…

Évidemment que non ! Tout est rattrapable. Nous parlons beaucoup d’énergie verte. Cela ne se limite pas qu’au solaire. C’est tout un concept. Un bâtiment vert est un bâtiment où tout est géré à la perfection. Y compris l’eau de pluie. Et le terrain doit aussi être capable de gérer cette eau. Si nous commençons à planifier, les inondations peuvent être évitées à travers ce type de gestion. Mais il faudrait que nous changions cette mentalité qui consiste à chercher des solutions dans l’immédiat.