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Ismaël Teeluck: «Quand je l’ai vue sans son sein, j’ai été ébranlé…»

4 février 2016, 08:55

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Ismaël Teeluck: «Quand je l’ai vue sans son sein, j’ai été ébranlé…»

 

 

Si le cancer et son traitement sont des épreuves terribles pour les malades, qu’en est-il de leur conjoint? Alors que nous célébrons, le jeudi 4 février, la Journée mondiale contre le cancer, rencontre avec Ismaël Teeluck, époux de la fondatrice de Breast Cancer Care.

Ismaël Teeluck est incollable sur les activités de Breast Cancer Care dont il est l’un des membres et l’Events Coordinator. C’est pour lui chose normale car son soutien à sa femme passe aussi par son engagement au sein de l’association dont la mise sur pied était son idée. «Je prends souvent la parole lors des sessions de sensibilisation pour dire à quel point le soutien du mari, des enfants et de la famille est primordial dans la survie d’une malade du cancer. J’estime que si le mari ne soutient pas sa femme, ses chances de survie diminuent de moitié car la lutte contre le cancer passe aussi par une volonté farouche de survie», estime cet homme de 47 ans, qui a conservé ses allures de play-boy.

Pour l’être, il l’était. Ceux qui ont connu les trois frères Teeluck, dont Ismaël est le benjamin, les ont toujours vus au volant de véhicules de sport rutilants – leur père était d’ailleurs un concessionnaire réputé de voitures japonaises. Ils avaient toujours de belles filles à leur bras et étaient des fêtards. Ce qui n’a pas empêché Ismaël Teeluck de terminer sa scolarité secondaire au collège St-Joseph, à Curepipe.

«On pense toujours, à tort, que cela n’arrive qu’aux autres.»

Shamima Patel, il la connaît du temps où tous deux étaient adolescents. On pourrait presque dire qu’ils étaient «voisins» car elle était scolarisée au Couvent de Lorette de Curepipe et le collège qu’il a fréquenté est vis-à-vis. Mais c’est sur le tard, c’est-à-dire il y a neuf ans, qu’ils ont commencé à sortir ensemble. Ils se sont mariés voilà quatre ans.

Le cancer de Shamima n’est pas le premier contact d’Ismaël avec le cancer. Sa mère, qui est anglaise, a eu un cancer à la mâchoire. Mais comme elle vit en Grande-Bretagne et qu’ils se voient une fois l’an, il a côtoyé cette maladie «de loin». «On pense toujours, à tort, que cela n’arrive qu’aux autres.»

À un moment, en 2010, il remarque que Shamima se fatigue vite. Elle se plaint de douleurs dorsales. Comme Apollo Bramwell propose une série de tests de dépistage, elle décide d’aller faire des vérifications de routine.

C’est une autre femme qu’Ismaël voit débarquer à l’issue de cette visite médicale. «Elle avait le visage bouleversé. Elle est tombée dans mes bras et a fondu en larmes, m’annonçant qu’il s’agissait d’un cancer du sein de stade 2, qui nécessitait une probable mastectomie. J’ai eu un choc et comme je ne m’étais pas documenté sur le cancer, ma première réaction a été de me dire que j’allais perdre ma femme. Aujourd’hui, je sais que le cancer n’est pas obligatoirement l’équivalent de la mort. Mais à l’époque, je ne le savais pas.»

«Il ne faut pas croire que l’homme est sans cœur, qu’il ne souffre pas. Il souffre aussi mais ne s’extériorise pas et gère la situation différemment des femmes.»

Il s’oblige à se reprendre pour lui donner du courage et une fois rentré à la maison, il a surfé sur le Net pour en savoir plus sur le cancer du sein et ses traitements possibles. Quelques jours plus tard, Shamima entre en clinique pour des biopsies et d’autres examens de confirmation et subséquemment pour une ablation du sein. «À ce moment-là, nous étions toujours dans l’état d’esprit de sa survie.»

Sa réaction lorsqu’il la voit sans son sein à son retour à la maison ? «Quand je l’ai vue sans son sein, j’ai été ébranlé. On essaie de cacher ce sentiment mais c’est ce que j’ai ressenti sur le moment», avoue-t-il.

Pendant plusieurs mois, le couple est si préoccupé par les traitements – sessions de chimiothérapie et de radiothérapie – qu’il communique moins et sans s’en rendre compte, il y a un éloignement entre les conjoints. Autant Ismaël Teeluck prend bien la perte des cheveux de sa femme qu’il trouve toute aussi belle, «j’avais l’impression d’être avec une nouvelle femme», autant  confie-t-il que la mastectomie l’a refroidi.

«Quand un homme vit ces choses-là, il ne veut pas se l’avouer mais il est perdu et a tendance à aller voir ailleurs. Une majorité d’hommes cède à la tentation. J’étais sous le choc, je voyais ma femme autrement et ça m’a joué un mauvais tour», dit-il en admettant avoir cherché du «réconfort» ailleurs après la mastectomie de sa femme.

«Cela peut briser un ménage. C’est après cela que l’on réalise que la chimiothérapie et la radiothérapie sont des traitements lourds qui entraînent une perte de l’intimité et qui nous ont fait nous éloigner l’un de l’autre. Il ne faut pas croire que l’homme est sans coeur, qu’il ne souffre pas. Il souffre aussi mais ne s’extériorise pas et gère la situation différemment des femmes.»

Cassure

Ismaël Teeluck se ressaisit lorsqu’il réalise qu’il y a péril en la demeure et que son mariage est sur le point de voler en éclats. «Je me suis dit : soit tu te ressaisis ou tu redeviens un petit play-boy comme avant, ce qui est super pendant quelques mois mais après lorsque tu te regardes dans le miroir, tu te rends compte que tu es seul parce que tu as laissé partir la femme que tu aimais. À ce moment-là, je me suis repris.»

Six mois après la fin des traitements de Shamima, les deux s’étourdissent en socialisant beaucoup. Un an après, Shamima doit subir une hystérectomie car son cancer du sein est hormono-dépendant. Comme les deux ont déjà des enfants de leur côté, l’impact de cette intervention chirurgicale est moindre. «Passé mon moment d’égarement, tout s’est éclairci dans ma tête. J’étais remis sur les rails.»

Si le désir entre eux est toujours aussi présent, la fougue a disparu. «Oui, on peut avoir une vie sexuelle épanouie après le cancer. Mais ce n’est plus comme avant. Le désir de l’un pour l’autre est revenu mais le cancer casse quelque chose quand même car l’homme voit sa femme d’un autre oeil et elle aussi se voit différemment, elle se sent diminuée.»

Leurs relations se sont grandement améliorées depuis que Shamima a pris avantage de la reconstruction mammaire offerte par le Centre de chirurgie esthétique de l’océan Indien. «Dans sa tête, elle a regagné confiance en elle et comme j’ai vu qu’elle reprenait confiance, cela m’a aidé à surmonter l’épreuve. J’ai repris goût à la chose. Mais ce n’est pas aussi fort. Sexuellement, on n’est peut-être pas aussi fougueux ou actif mais c’est compensé par d’autres choses. Je suis plus présent pour elle».

C’est d’ailleurs lui qui lui suggère de créer sa propre association. «Les femmes n’écoutant pas toujours leur mari, il a fallu que quelqu’un d’autre lui en parle et lui dise qu’elle devrait être le visage du cancer pour qu’elle se décide à mettre sur pied Breast Cancer Care».

Aux hommes dont les femmes sont malades d’un cancer du sein, Ismaël Teeluck conseille d’être forts et de soutenir celles-ci à 100%. «Il faut être son soutien car autrement, ce sera catastrophique. L’homme doit se reprendre et être fort. J’ai un ami qui vit la même chose mais c’est sa femme qui est forte pour lui alors que lui a baissé les bras. C’est la chose à ne pas faire. Il faut se battre et lutter ensemble.»