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Les gardiens de la flotte fantôme du Potomac plaident pour sa reconnaissance

18 décembre 2015, 14:22

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Les gardiens de la flotte fantôme du Potomac plaident pour sa reconnaissance

 

 

Fendant les eaux boueuses du fleuve Potomac, Don Shomette s'engage dans Mallows Bay. Voilà des décennies qu'il fait le même trajet mais chaque fois qu'il redécouvre, au détour d'une langue de terre, les dizaines de navires de la Première Guerre mondiale échoués, sa passion est ravivée.

"C'est ironique que la nature se réapproprie ces navires, à l'origine conçus pour participer à une guerre destructrice", remarque-t-il à bord de son canoë usé en contemplant le cimetière marin.

Surmontées d'arbustes dont le vert contraste avec la couleur du bois rongé par les eaux, les épaves de plus de 185 bateaux à vapeur affleurent dans cette baie située à une heure de route de Washington.

Ce sont les vestiges d'une flotte au destin contrarié: commandés en 1917 lors de l'entrée des Etats-Unis dans la Grande Guerre, aucun de ces navires n'a jamais traversé l'Atlantique.

Mal conçus, trop chers à entretenir... une enquête parlementaire avait conduit à l'arrêt soudain de la production. Récupérées par une société chargée de les démanteler, les épaves avaient été transportées jusque dans la baie.

Mais là, leur destinée a encore une fois été modifiée: l'entreprise, conduite à la faillite pendant la Grande dépression en 1931, a laissé les épaves se décomposer dans les eaux de Mallows Bay.

La flotte pourrissante forme aujourd'hui le plus grand ensemble de navires datant de la Première Guerre mondiale trouvé dans le monde occidental.

"C'est un laboratoire que nous pouvons tester et étudier, les touristes peuvent voir l'histoire à vif", s'enthousiasme Don Shomette.

- 'Incomparable' -

Originaire de la région, ce septuagénaire a découvert Mallows Bay à l'adolescence.

Sa passion pour l'archéologie sous-marine et l'histoire l'a conduit des côtes du Yorkshire, au Royaume-Uni, jusqu'aux profondeurs du Lac Michigan, aux Etats-Unis. Don Shomette a travaillé comme consultant pour plusieurs sociétés, dont National Geographic.

Mais au bout du compte, ce passionné revenait toujours à Mallows Bay, à deux pas de chez lui, contempler l'étrange collection de navires.

Après avoir finalement décroché des financements lui permettant de convertir sa passion en métier, Don Shomette a méticuleusement étudié la flotte pendant dix ans, élaborant un épais dossier sur chacun des navires.

"Difficile de dire quel est mon projet préféré car toutes les découvertes sont passionnantes. Mais bien entendu, Mallows Bay est incomparable", confie-t-il.

Les écologistes partagent son enthousiasme. Les épaves en bois abritent une riche faune, attirée par la végétation qui a envahi le cimetière marin.

Don Shomette assure même avoir vu un jour un pygargue à tête blanche, l'aigle symbole des Etats-Unis, se poser sur l'une des coques aux planches usées et aux énormes clous rouillés.

Balbuzards, bars rayés, huîtres: "Chaque navire s'est converti en un écosystème miniature", souligne Joel Dunn, responsable d'une ONG s'occupant de la conservation dans la région, Chesapeake Conservancy.

L'organisation plaide, avec d'autres, pour que Mallows Bay devienne un sanctuaire marin protégé. Le site couvrirait toute la flotte fantôme datant de la Première Guerre mondiale, mais aussi des navires plus anciens, qui avaient eux aussi été amenés sur place en vue d'un démantèlement - jamais achevé.

"Il s'agit de protéger ces lieux pour les prochaines générations", explique Sammy Orlando, chargé de la région de Chesapeake Bay pour l'Agence américaine océanique et atmosphérique (NOAA).

Le président Barack Obama lui-même s'est dit en faveur de cette requalification, mais la voie est encore longue pour que Mallows Bay devienne un jour sanctuaire marin: la catégorie lui sera accordée au plus tôt en 2017.

Son obtention ferait du site un "atout éco-touristique majeur" pour la région, assure Joel Dunn.

Et du point de vue de Don Shomette, ce serait une reconnaissance de l'intérêt de ces mystérieuses épaves, qu'il explore depuis des décennies.