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La diaspora mauricienne sous l’angle du séga, de la Grande-Bretagne et des campements

7 décembre 2015, 15:47

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La diaspora mauricienne sous l’angle du séga, de la Grande-Bretagne et des campements

Débattre de la diaspora mauricienne, c’est dépasser une série de clichés, ne pas se complaire dans la nostalgie. Aller plus loin que «la kot lonbri antere» ou encore ce goût pour les dhollpuri, que les Mauriciens cultivent, là où ils se trouvent. 

 

Au-delà, des questions demeurent et toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre. Trois jours durant, des chercheurs ont décortiqué le thème, Mauritian diaspora in question : trajectories and connections, lors d’une conférence internationale organisée du 2 au 4 décembre au Mahatma Gandhi Institute (MGI).

 

  • Ne limitons pas le séga typique

 

Lee Haring, Professor Emeritus au Brooklyn College, City University, New York, a prononcé l’un des principaux discours lors de la conférence sur la diaspora mauricienne, au MGI. Sa communication avait pour thème : Travel gear : what Mauritians take abroad.

 

Sa blague préliminaire, c’est l’histoire d’un jeune Mauricien parti étudier la médecine en Angleterre. Après ses études, à son retour, son père vient l’accueillir à l’aéroport. Le jeune homme porte désormais des lunettes. Tout heureux de voir son père, le fils s’écrie, «Hello Daddy». Son père lui répond en kreol : «Monn avoy twa fer dokter, kan to vini, to met linet, to pa rekonet to papa. To pran mwa pou to dadi.» Et il lui donne une paire de claques. D’entrée, cette blague, bien que datant de 30 ans, a expliqué l’universitaire, a fait son effet.

 

«Cette petite histoire démontre en quelques lignes la maîtrise de plusieurs langues qui caractérise les Mauriciens. Elle montre à la fois le fils corrompu par la langue de l’ancienne puissance coloniale et que c’est le kreol qui a le dernier mot.»

 

Qui dit débats académiques, dit remise en cause des définitions. Lee Haring a rappelé que pendant longtemps, le terme «diaspora», en anglais, a été associé uniquement aux juifs éparpillés hors de Palestine. «Dirait-on que les Juifs internés à la prison de Beau-Bassin durant la Seconde Guerre mondiale faisaient partie de la diaspora ? Je ne le crois pas.»

 

Les recherches de Lee Haring puisent dans sa longue expérience des histoires, contes, légendes, notamment de Maurice, qu’il a collectés et traduits. L’universitaire a notamment eu l’occasion de côtoyer le griot mauricien Nelzir Ventre, praticien du séga typique, aujourd’hui disparu. «Les histoires que j’ai rassemblées ne sont pas que des témoignages du passé, mais doivent être mises dans la perspective d’un héritage commun venu d’Afrique de l’Est. C’est aussi une image de ce que sont les gens aujourd’hui. Déjà à l’époque, Nelzir Ventre mettait l’accent dessus.»

 

Tout en se qualifiant d’étranger qui observe Maurice de loin, Lee Haring s’est dit touché par l’inscription du séga typique au patrimoine mondial, par l’Unesco. Mais, estime-t-il, «le séga existe à Maurice et dans différentes îles. Ce n’est la propriété de Maurice seulement quand on limite la définition du séga. Et le considérer comme étant uniquement mauricien, c’est ignorer qu’il fait partie de la culture de toute la région africaine. C’est à travers cette reconnaissance que l’on pourra honorer les diasporas qui ont créé la population de Maurice».

 

  • Oubliez l’émigration vers l’Angleterre

 

Une vision ultra-réaliste des conditions d’entrée pour ceux qui souhaitent s’installer en Grande Bretagne. C’est ce qu’a livré Jacques René, avocat d’origine mauricienne, spécialisé en immigration et droits humains, basé à Londres. Il était l’intervenant principal, lors du dernier jour de la conférence sur la diaspora.

 

Son message essentiel : si vous envisagez, comme dans les années 1980, par exemple, de vous installer en Angleterre sans en avoir les moyens financiers, oubliez. Si vous vous dites qu’une fois sur place, vous allez vous débrouiller, oubliez. Si vous vous dites que vous irez comme étudiant et que vous trouverez un job sur place pour payer en partie vos études, oubliez. 

 

En somme, si vous n’avez pas les moyens de vous installer en Angleterre, qui a durci le seuil du revenu minimum annuel, vous n’y parviendrez pas. Cette analyse est basée sur les lois d’immigration aujourd’hui en vigueur dans ce pays, qui selon Jacques René, «depuis qu’il a intégré l’Union Européenne est plus du côté de l’Europe que du côté du Commonwealth».

 

Un jeune de 18 à 21 ans, face au fonctionnaire de l’immigration a intérêt à justifier les raisons de son voyage, les endroits où il doit se rendre, qui il doit rencontrer et montrer qu’il a de très bonnes raisons de rentrer à Maurice. «Vous n’aurez pas de problème, aussi longtemps que vos papiers sont en règle, mais les procédures de demandes de visa à la Haute Commission britannique à Maurice ont été rendues plus complexes, du fait qu’elles sont traitées à Pretoria, en Afrique du Sud. La limite, c’est six mois pour un visiteur. Mettons, vous devez y aller pour un mois. C’est ce que vous dites au fonctionnaire. Sauf qu’au final, vous restez cinq mois. La prochaine fois que vous revenez en Angleterre, le fonctionnaire ira chercher votre dossier, il verra que vous aviez dit que vous alliez rester un mois et que vous êtes parti après cinq mois. Aux yeux du fonctionnaire, vous avez dépassé votre date de séjour, même si légalement ce n’est pas le cas.»

 

La plus grosse catégorie que Jacques René a eu l’occasion de voir dans le cadre de sa profession, c’est les étudiants. «Aujourd’hui, c’est une filière extrêmement difficile. Si vous devez étudier à Londres, vous devez montrer que vous avez l’équivalent d’un an de location à Londres, plus l’argent pour les frais universitaires.»

 

Dans le cas de ceux qui épousent des citoyens britanniques, pour rentrer en Angleterre, l’époux britannique doit montrer qu’il a un seuil de revenus fixé par les lois d’immigration. Si ce n’est pas le cas, même si le couple a un enfant, l’époux mauricien ne sera pas admis sur le territoire anglais.

 

  • Ces campements qui retiennent les Mauriciens d’origine européenne

 

Établir un lien entre la vie au campement et le peu d’intérêt des Mauriciens d’origine européenne pour l’immigration. C’est l’argument qu’a étayé Tijo Salverda, Research Fellow de l’université de Cologne, en Allemagne. «En dehors du discours politique sur les cinq familles – et elles sont plus que ça – on peut dire que les familles mauriciennes d’origine européenne ne possèdent pas d’entreprise dans certains secteurs de l’économie. Mais grâce à leurs liens, qu’ils soient familiaux ou d’affaires, les membres de ce groupe social trouvent de l’emploi relativement facilement dans certains compagnies.» 

 

Le chercheur n’a pas manqué de mettre en avant le fait qu’attaché à ces postes, il y avait aussi des privilèges. Citant l’exemple d’un Field Manager d’une propriété sucrière, Tijo Salverda a affirmé : «Il n’est pas le propriétaire des terres mais il vit pratiquement comme tel. Il a une voiture avec chauffeur, une belle maison etc.» Ce qui lui fait dire que «ces privilèges qui perdurent, expliquent pourquoi les Mauriciens d’origine européenne n’ont pas très envie d’émigrer». 

 

Pour le chercheur, l’accès à l’éducation privée y est aussi pour quelque chose. «Beaucoup d’accent est mis sur l’éducation des enfants. Au cours de mes recherches, cela a été difficile de trouver des jeunes de 18 à 22 ans parce que la plupart étudient à l’étranger. Ils ne sont pas les seuls à étudier à l’étranger mais presque tous les jeunes Mauriciens d’origine européenne à qui j’ai parlé ont exprimé le désir de rentrer à Maurice ou sont effectivement rentrés, sachant qu’ils auront accès à des emplois bien rémunérés.»

 

Plus directement lié à son thème : Home is where our beach is: an analysis of Franco-Mauritians’ limited interest to emigrate?, le chercheur a affirmé que ces Mauriciens ont beaucoup de nostalgie pour leur vie au bord de la mer dans les campements. «C’est un mode de vie qui caractérise cette communauté dans son ensemble, alors que dans les autres catégories sociales, c’est davantage sur une base individuelle.» 

 

Faisant référence à l’augmentation conséquente du bail des terrains sur le littoral en 2006, là où nombre de leurs campements sont construits, le chercheur a expliqué «qu’ils se sont sentis menacés. Mais malgré leurs craintes et le fait que certains moins aisés ont effectivement perdu leur campement, beaucoup ont pu le sauver et sont restés. Ce mode de vie ne peut pas nécessairement être retrouvé en Angleterre ou en France où ces personnes se fondraient dans la masse. Les Mauriciens d’ascendance européenne n’ont pas forcément les moyens de vivre de la même manière là-bas».