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Chine: limité à sa fille unique, un fonctionnaire crie son amertume

31 octobre 2015, 11:15

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Chine: limité à sa fille unique, un fonctionnaire crie son amertume
"Qu'est-ce que j'aurais pu ressentir ?", raconte M. Sun, 67 ans aujourd'hui. "Vous n'étiez pas autorisé à ressentir quoi que ce soit. Le Parti disait quelque chose, et nous, les membres du Parti, les cadres, on devait obéir."
 
La politique de l'enfant unique, vieille de plus de trois décennies, a été souvent appliquée avec sévérité, voire brutalité --avortements et stérilisations forcés notamment.
 
Son assouplissement a été annoncé jeudi --tous les couples seront désormais autorisés à avoir deux enfants---, afin de faire face au vieillissement de la population et aux besoins de sa future croissance.
 
La décision arrive pourtant trop tard pour toute une génération de Chinois, élevés dans l'idée traditionnelle que les familles nombreuses constituent un rempart anticrise.
 
"S'il n'y a qu'un enfant dans la famille et qu'il y a problème, tout le monde sera en difficulté", relève M. Sun, assis sur un banc d'un parc pékinois. "On appelle ça le 4-2-1: quatre grands-parents et deux parents dépendant d'un enfant unique."
 
Si les Chinois ordinaires sont punis de lourdes amendes pour chaque enfant "de trop", les fonctionnaires coupables risquent la révocation et l'ostracisme de leurs collègues.

- "Tête de Turc" -

"Ils ne vous punissaient pas à titre individuel -- tous les salaires et les promotions des gens qui travaillaient avec vous étaient bloqués", souligne M. Sun. "Vous deveniez donc la tête de Turc de tout le monde."
 
La femme de M. Sun dirigeait le bureau local de la Fédération des femmes, chargée d'inculquer les préceptes de la toute nouvelle politique de l'enfant unique.
 
Le couple, coincé entre sa fidélité au Parti et sa foi dans les valeurs traditionnelles, n'a pourtant jamais envisagé de bafouer les règles.
 
Dès le lancement de la politique de l'enfant unique, une préférence traditionnelle pour les garçons, ancrée dans la société, a engendré avortements sélectifs et infanticides.
M. Sun, lui, s'est résigné à n'avoir qu'une fille, malgré son envie d'un garçon.
 
"Peu importe mon sentiment là-dessus. Que pouvais-je faire ? Je pouvais juste vivre avec ça", soupire-t-il.
 
Les ONG relèvent que le nouvel assouplissement ne mettra fin ni au contrôle étatique sur la reproduction ni aux stérilisations et avortements forcés.
 
Shi Xinmei, nourrice de 51 ans, se remémore l'impitoyable application de la politique dans sa ville de Zhumadian, dans le Henan (centre).

- "Cruels et corrompus" -

Des fonctionnaires débarquaient à l'improviste dans les foyers, à l'affut de toute grossesse, explique-t-elle. Et les femmes découvertes enceintes étaient embarquées, direction la salle d'avortement.
 
"Certaines étaient enceintes de sept ou huit mois", explique Mme Shi en secouant la tête. "On ne pouvait rien faire pour les aider. Les fonctionnaires de notre ville était particulièrement cruels et corrompus."
 
Les avortements forcés se poursuivent même aujourd'hui. En 2012, la photo d'une Chinoise forcée à avorter, Feng Jianmei, son foetus de sept mois sanguinolent posé auprès d'elle, avait provoqué un véritable scandale, suivi de sanctions contre les responsables.
 
De maigres compensations étaient concédées aux "bons élèves" du planning familial: après la naissance de leur fille, M. Sun et sa femme se sont ainsi vu délivrer un certificat attestant leur respect de la politique de l'enfant unique.
 
Ils reçoivent également, depuis, une subvention mensuelle --aujourd'hui 106 yuans (15 euros)-- pour ce que M. Sun appelle "le fardeau qu'on a porté pour le pays".
 
Une charge qui, pour le couple et sa fille, menace de s'alourdir avec le temps.
 
Sun et sa femme viennent de familles nombreuses, et souhaitaient la même "sécurité" pour leur fille, à qui ils ont choisi un mari venu d'une famille de cinq frères et soeurs.
 
"C'était une très bonne chose, parce qu'en cas de coup dur, il y aura davantage de gens pour l'aider", explique-t-il. "Les amis, les collègues... ça ne remplace pas la famille."