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Les chasseurs de plastique sont arrivés à Rodrigues

27 septembre 2015, 20:30

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Les chasseurs de plastique sont arrivés à Rodrigues
15 mars : Un géant des mers à l’assaut des vortex 
Ce dimanche-là, à Bordeaux, dans le sud de la France, le trimaran «MOD70 Race for water» largue les amarres. C’est un voilier de course aux mensurations généreuses. Long de 21 mètres, large de 17 mètres, son mât culmine à 29 mètres. À bord, six membres d’équipage de la fondation suisse «Race for Water». Cap sur les Açores, première escale d’une expédition scientifique de 300 jours visant à dresser un état des lieux de la pollution des océans par les plastiques.
 
La feuille de route prévoit dix autres étapes : les Bermudes dans l’Atlantique Nord ; l’île de Pâques, les îles Mariannes et différents atolls dans le Pacifique ; les Chagos et Rodrigues dans l’océan Indien ; et l’archipel de Tristan da Cunha dans l’Atlantique Sud. «Le bateau est l’ambassadeur de la mission mais les scientifiques et la logistique arrivent sur chaque escale par avion», précise Franck David, le chef de l’expédition à terre, qui était de passage à Maurice mercredi.
 
«On estime que 300 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le monde, dont près de 10 % finissent dans les océans», poursuit-il. Cette pollution se concentre dans les cinq grands vortex. Ces zones, également appelées gyres, sont d’immenses tourbillons d’eau créés par les vents et les courants marins. Elles aspirent les milliards de déchets qui se déplacent dans l’océan pour former de gigantesques nappes de pollution.
 
Selon les études scientifiques, on trouve  18 000 morceaux de plastique par kilomètre carré d’océan.
 
 
Mars-septembre: Ces poubelles flottantes  qui colonisent les îles
Depuis mars, donc, l’équipe de la Race for Water Odyssey s’est rendue dans huit îles situées au cœur de ces véritables poubelles des mers pour étudier au plus près les déchets qui s’y trouvent. «Ces îles agissent le plus souvent comme des barrages naturels pour des déchets. Elles les piègent et les accumulent sur leurs côtes. Elles constituent donc un terrain représentatif du type et des quantités que l’on peut retrouver dans les eaux environnantes», souligne la fondation.
 
Sur chaque île, l’équipe survole les plages avec des drones afin de repérer les déchets. Puis des macro-plastiques (inférieurs à 50 cm) sont prélevés manuellement, ainsi que des échantillons de sable pour analyser les microparticules (moins de 2 mm). Entre deux escales, les scientifiques repartent dans leur laboratoire pour analyser les résultats. «Nous sommes les seuls à nous rendre dans les cinq gyres dans un temps très court, moins d’une année, afin d’avoir des données comparables» , avance Franck David, dont la fondation débourse 2,6 millions d’euros (Rs 104 millions) pour financer le projet.
Des déchets sur une plage à Hawaii,  où l’expédition Race For Water a collecté les plastiques.
 
 
12 septembre : À l’approche des Chagos, le naufrage 
Cette nuit-là, le bateau progresse vers les Chagos. Les conditions de navigation sont rudes. Steve Ravussin, le skipper, raconte : «C’était difficile depuis plusieurs jours : une grosse houle, des vagues de plusieurs mètres et un équipage usé par 60 000 km de navigation.» A 90 miles (166 km) de l’archipel, c’est le naufrage. Le bateau se retourne, deux des cinq marins sont projetés par-dessus bord. «On les a récupérés in extremis dans trois mètres de vagues, des miraculés», commente Franck David. Très vite, le contact avec la base militaire de Diego Garcia est établi grâce au MRCC Mauritius (le centre de sauvetage en mer). L’équipage se réfugie à l’intérieur de la coque centrale.
 
Les hommes attendent leur sauvetage, trente heures interminables… Volontairement, les balises de détresse restent muettes. L’explication : «Si vous déclenchez les balises, le premier bateau à proximité a l’obligation de se dérouter pour venir secourir l’équipage. Mais le navire, vous devez l’abandonner.» Un abandon à  Rs 140 millions, c’est non. Le 14 septembre au petit matin, l’équipage est secouru par le Pacific Marlin, un navire des Territoires britanniques de l’océan Indien ( BIOT, British Indian Ocean Territory ). Tout le monde est sain et sauf. L’aventure s’arrête là pour le bateau, trop endommagé. L’escale chagosienne est annulée. Mais le reste de la mission à terre est maintenu.
 
 
Le bateau «Race for Water» faisait route en direction des Chagos lorsqu’il a chaviré, dans la nuit du 12 septembre.
 
 
 
 
25 septembre : À Rodrigues aussi, la mer boit la crasse
 Ils sont arrivés vendredi 25 septembre par avion et se sont mis aussitôt au travail. Une équipe de six scientifiques, des Français et des Suisses, accueillis en fanfare. Ils ont cinq jours, pas un de plus. Comme à chaque escale, des portions de plage (à Gravier, Grenade Beach et Cotton Bay) feront l’objet de ratissages systématiques. Et des échantillons de sable seront prélevés afin d’isoler les différentes microparticules, en vue de leur analyse par un laboratoire. Le tout selon un protocole scientifique bien rôdé.
 
Samedi 26 septembre, déjà, une première tendance : «On ne pensait pas trouver autant de macrodéchets», résume un membre de l’équipe. Deux cent quarante litres de plastiques collectés dans quatre gros sacs-poubelle : le butin d’une langue de plage d’à peine cent mètres de long sur vingt mètres de large. C’est l’océan qui a recraché ces déchets : «90 % proviennent de l’étranger. On a même trouvé des marques indonésiennes.»
 
Pour les microparticules, c’est une autre histoire : «On ‘taille’ des zones dans le sable de façon aléatoire.» Les zones : des carrés de 50 cm de côté sur 10 cm de hauteur. «Puis on passe chaque carré au tamis, pendant trois heures.» À Hawaï, les tamis ont été servis : l’équivalent de sept tasses de thé de micro-fragments par carré. «On les voit à l’œil nu arriver avec les vagues, c’est impressionnant. À l’île de Pâques, au milieu de nulle part, c’est quatre tasses et demie. À Rodrigues, pour l’instant, on est à une demi-tasse.» Les résultats complets sont attendus mi-2016.