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Mexique: peur chez les journalistes après la mort d'un des leurs

5 août 2015, 20:11

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Mexique: peur chez les journalistes après la mort d'un des leurs
Il y a quelques jours encore, la ville de Mexico était considérée comme un refuge pour les journalistes, dans l'un des pays les plus dangereux au monde pour exercer le métier d'informer, mais la mort brutale du photographe Ruben Espinosa a changé la donne.
 
"Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait?" se demandent ses collègues après la mort violente du photoreporter, retrouvé une balle dans la tête, pieds et poings liés, avec quatre femmes, dans un appartement de la capitale, où ils ont été torturés.
 
Près d'une quinzaine de reporters menacés dans leur région sont venus se réfugier à Mexico au cours des dernières années, pensant que leur sécurité y serait davantage assurée.
 
Perçue comme une zone de "cessez-le-feu", la capitale avaient attiré ces journalistes qui pensaient y bénéficier d'une relative sécurité, d'autant qu'on pouvait s'y fondre parmi ses 9 millions d'habitants. Mais les crimes atroces commis vendredi ont bouleversé cette perception.
 
L'ambiance parmi ces journalistes est un mélange de "peur, d'incertitude et d'impuissance", raconte à l'AFP Balbina Flores, rapporteur de la liberté d'expression auprès de la commission des droits de l'Homme de Mexico.
 
Ruben Espinosa, 31 ans, qui travaillait notamment pour la revue Proceso et le journal AVC Noticias de Veracruz, était venu se réfugier à Mexico, il y a deux mois, après avoir reçu des menaces.
 
Mexico "était une ville fortifiée, mais aujourd'hui la forteresse est brisée", commentait un journaliste de Veracruz durant les obsèques de son collègue.

- 'C'est pas une vie' -

Appels téléphoniques ou messages intimidants, tirs contre les locaux de leurs médias, voire enlèvement de quelques jours, sont souvent les éléments qui déclenchent l'exil vers la capitale.
 
"Après ce qui est arrivé à Ruben, la peur revient, on ne sent plus en sécurité, même parmi la foule" explique un caricaturiste, également de Veracruz, qui avait fui le Mexique en 2012 après avoir trouvé un simple et glaçant message sur sa voiture : "Calladito" ("Silencieux").
 
Il était finalement revenu dans son pays pour s'installer dans la capitale.
 
"C'est pas une vie, explique-t-il, d'être en permanence angoissé, de faire des cauchemars, de pleurer; pas une vie de ne pas pouvoir dire où tu es, ne pas aller à l'endroit où tu dis aller, de devoir changer régulièrement ton numéro de téléphone, de se méfier de tout le monde, même de tes amis. De ne pas vouloir aller te promener avec ta famille pour ne pas les mettre en danger", raconte-t-il à l'AFP.
 
Le nombre de journalistes demandant à s'exiler dans la capitale a fortement augmenté au cours des dernières années, selon Philippe Olle-Laprune, responsable de la maison-refuge Citlaltépetl à Mexico, qui reçoit des journalistes et artistes menacés, venus du monde entier.
 
La mort d'Espinosa est "un affreux rappel à l'ordre", le signe que "la violence se rapproche chaque jour un peu plus de votre domicile", commente Olle-Laprune.
 
Au cours des quinze dernières années, au moins 88 journalistes ont été tués au Mexique, selon Reporters sans frontières.
 
Dans le seul Etat de Veracruz, treize journalistes ont été exécutés depuis 2010, faisant de cet Etat, dirigé par le gouverneur Javier Duarte, membre du parti au pouvoir, le PRI, l'Etat le plus dangereux pour les journalistes.
 
Le photographe Ruben Espinosa y avait été agressé à plusieurs reprises, notamment en 2013 lorsqu'il avait été frappé par la police lors d'une manifestation.
 
- Protection inefficace -
 
Le comité de protection des journalistes a classé le Mexique au 8e rang des pays les plus dangereux pour les journalistes.
 
Le Mexique a pourtant mis en place un programme de défense des reporters et défenseurs des droits de l'homme, et créé une juridiction spécialisée sur les crimes contre la liberté d'expression.
 
Mais Flores, ancienne responsable de RSF au Mexique, qui a bénéficié de ce programme après avoir été menacée, souligne qu'il "fonctionne mal", notamment à cause de la lenteur des prises de décision.
 
Ces mécanismes "ne marchent pas" critique le caricaturiste de Veracruz. Il s'agit d'un "labyrinthe bureaucratique, dépourvu d'émotion" qui ne résoud pas les problèmes immédiats: un toit, de la nourriture et un travail pour les journalistes exilés.
 
N'ayant pas confiance dans les autorités, Ruben Espinosa avait choisi de ne pas s'inscrire à ce programme.