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Réinventer l’espace urbain : comment «smartiser» Port-Louis

5 juillet 2015, 11:24

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Réinventer l’espace urbain : comment «smartiser» Port-Louis

L’exercice de la pratique est un art complexe. Mais la plus belle des révolutions est silencieuse… La plus belle des victoires se gagne sans livrer bataille mais dans le dialogue et la concertation.

 

Le contexte

Ramené à l’échelle mondiale, l’ensemble de l’île Maurice correspond à une petite ville de 1,3 million d’habitants – que ce soit en termes démographiques (Tokyo 35 millions, Mexico 22 millions) ou économiques (Tokyo 1 200 milliards d’euros, Londres 450 milliards d’euros et Maurice 10 milliards d’euros). Si l’on superposait la carte de Maurice à celle de Buenos Aires ou de Bogota, il suffirait de quelques stations de métro pour voyager de Grand-Baie à Mahébourg. 

 

En visualisant ainsi l’échelle de Maurice, nos villes et nos villages deviennent, en proportion, de simples  ‘quartiers’ de ville et l’appellation «villes satellites» perd son sens. Les smart cities ne seraient-elles alors que des projets ? Elles le sont en effet.

 

Les urgences 

L’absence de vision et de planification urbaine pour le pays durant de longues années nous a infligé une interminable liste d’urgences à résoudre. Pour n’en citer que quelquesunes, la congestion routière quotidienne (deux heures en moyenne), un retard de 60 000 logements avec un besoin annuel de 10 000, une population vieillissante, et surtout un espace urbain asphyxié à un niveau de saturation frôlant les records du monde. 

 

Le corridor urbain PortLouis–Curepipe a besoin d’être aéré et ne peut accueillir davantage. Avec 3 022 personnes par km2, ce corridor se compare, en densité, à des villes comme Munich, Glasgow, Los Angeles et Kuala Lumpur. Comparés à ceux de Delhi (15 m2 d’espaces verts par habitant), nos 3,7 m2 paraissent ridicules. Pour finir, on est 13e au classement des routes les plus encombrées du monde avec 112 véhicules par km, pire que l’Italie,  l’Allemagne et le Mexique avec, en plus, 10 % d’accidents de circulation (43 000 pour 450 000). Il sera donc très difficile de régénérer cet espace sans l’aérer et le vider au préalable afin de pouvoir ensuite assurer une meilleure qualité de vie à ceux qui resteront y vivre. 

 

L’opportunité 

Les études et les rapports avec leurs recommandations sont nombreux à dormir tranquillement dans des tiroirs. Nul n’a besoin d’un test ADN pour savoir qu’un chien n’est pas un chat. L’heure est maintenant à l’action. 

 

Nous avons besoin d’une acupuncture urbaine pour nous soigner de tout notre cholestérol. C’est la méthode qu’a employée Jaime Lerner, le maire de Curitiba au Brésil, pour transformer sa ville de 1,3 million d’habitants en un lieu de vie durable en quelques années seulement. Une série de petits projets comme autant d’aiguilles d’acupuncture qui régénèrent le tissu urbain et sont, chacun à leur niveau, des moteurs de développement économique. C’est la méthode que les smart cities  ambitionnent d’utiliser.

 

Smart ? 

Le mot a été galvaudé et chacun y est allé de sa définition. Le terme smart est, en fait, plus important que le mot cities, car il veut dire intelligent. Intelligent et durable ! Il ne suffit plus de jouer au bon élève qui économise de l’énergie, l’eau, etc. Il faut aller plus loin ; il faut que l’ensemble de ces actions visent à «do more with less» avec l’aide des TIC.

 

 Prenons les deux objectifs principaux. Le premier vise à améliorer la qualité de vie des Mauriciens en la soulageant de ses urgences. Et le second a pour ambition de créer une valeur économique et de nouveaux emplois dans les secteurs de l’innovation et des  nouvelles technologies. 

 

Ces projets smart devront développer une autonomie en production d’énergie renouvelable et d’eau ainsi qu’en gestion des déchets. À terme, les excédents pourront être partagés avec les villages avoisinants grâce à une gestion intelligente de toutes les ressources (énergie-eau-déchets). La sécurité et la mobilité des habitants seront accrues en connectant de façon optimale les espaces et les équipements  24 heures sur 24. 

 

Le fer de lance de ces projets sera un centre d’innovation où seront installées de grandes entreprises internationales (ex-Cisco, Veolia, Siemens…) avec, en périphérie, une pépinière de jeunes start-ups mauriciennes travaillant en bonne synergie. Chaque projet développera une spécificité en recherche et innovation. À titre d’exemple : Omnicane pour les activités aéroportuaires, Riche-Terre pour le bunkering et le hi-tech bio-farming, Medine pour le knowledge hub etc. Selon des études de Forbes, un hi-tech job génère 4,3 emplois directs. Cette nouvelle configuration permettra :

 

 - Une réelle intégration des habitants dans toute leur diversité – catégories socioprofessionnelles, âge (jeunes et seniors) avec un cross-subsidisation des logements.

 

 - Une approche WorkLive-Play équilibrant les populations actives et résidentielles afin de limiter la mobilité en dehors du projet. Habiter et travailler au même endroit avec un aménagement urbain privilégiant les piétons à la voiture, dans lequel les enfants  peuvent se rendre à l’école en toute sécurité.

 

 Ci-dessus, la façon dont les infrastructures devraient être aménagées
dans la partie Nord du front de mer de Port-Louis, selon l’architecte.

 

 Une réelle intégration passe par la diversité, une qualité essentielle pour la réussite. C’est elle qui engendre la créativité, l’élément fondamental de l’innovation. L’innovation trouve une terre fertile quand se rencontrent les disciplines, les métiers, les origines, les appartenances, les différences et aussi le savoir traditionnel. New York parle 170 langues, l’Estonie se vante de ses 43 peuples. Si nous parvenons à ouvrir notre hospitalité à la diaspora, et à une sixième génération d’immigrés, ce formidable influx d’expertise (et de capitaux) catalysera notre transition vers une vie meilleure.

 

Et Port-Louis ? 

Pourquoi ne pas d’abord smartiser nos villes existantes en premier lieu ? Comme expliqué plus haut, cet exercice ne saurait avoir lieu tant le niveau de saturation du corridor urbain PortLouis–Curepipe est élevé. Il faut donc soulager ce corridor en priorité en créant d’autres espaces de vie. Le triangle Port-Louis–RicheTerre–Highlands constitue cet ensemble. Riche-Terre représentera les Bras avec les activités du Port et la ferme bio hi-tech pour nourrir Port-Louis et alimenter les 3 300 navires du bunkering. Highlands sera la Tête administrative où se délocalisera la quinzaine de ministères, ce qui représente environ 30 000 employés de bureau. Et finalement Port-Louis restera le Cœur en réaffirmant sa dimension capitale, confirmant son rôle de siège du Politique et centre des Finances  ainsi que du Judiciaire. 

 

Port-Louis connaîtra ainsi une renaissance urbaine en devenant la ville des arts, de la culture et du patrimoine. Cette stratégie lui donnera un nouveau dynamisme économique, un regain à son attrait touristique et la placera sur la carte du monde.

 

 Les points A, B, D, E, F, H et I correspondent aux structures,
une fois aménagées selon le plan de Gaëtan Siew. Quant aux infrastructures qui se trouveront
aux points C et G, elles n’ont pas encore été définies.

 

Mais avant tout, il faudra créer une ville conviviale où il fait bon vivre. Pour cela, une approche en sept points d’acupuncture est proposée :

 

1. Réaffirmer sa dimension capitale

Lui donner trois icônes nouvelles d’architecture  qui affirmeront son rôle  de capitale.

 

 2. Reconnecter la ville  à la mer

Après la relocalisation des gares du Nord et Victoria, créer des plateformes aériennes connectant le Caudan et Aapravasi Ghat à la ville tout en permettant la circulation automobile. (Exemple : Hi-line de  New York ou la Coulée verte de Paris).

 

 3. Connecter tout son patrimoine en continuité

Convertir la plateforme de la gare du Nord en un parking de 2 000 places et transformer toute la zone tampon de l’Aapravasi Ghat en un district culturel, et le connecter aux quartiers de la Jummah Mosque et du Chinatown régénéré et vivant. Le district culturel sera piétonnier avec des résidences d’artistes, des galeries d’art, des antiquaires et des lofts dans les vieux entrepôts (godown) en pierre. 

 

4. Insuffler de la vie

Reconvertir les 300 000 m2 de bureaux du gouvernement en middleincome affordable housing (4 000 appartements) et doter la ville de nouveaux espaces verts en plantant, chaque année, 10 000 arbres avec le programme «un arbre un enfant» à l’occasion de la journée de l’Environnement. 

 

5. Apprivoiser la mobilité

Diversifier les modes de transport – le water taxi de Baie-du-Tombeau arrivera au Grenier pour continuer jusqu’à Pointe-aux-Sables. Le Portlouisien pourra flâner à pied ou à bicyclette le long des pistes cyclables arborées ou faire son jogging du Champde-Mars au Caudan, via la Galerie d’Art le long des quais du Ruisseau du Pouce. 

 

6. Doter la ville d’une nouvelle Intelligence

Connecter tous les parkings de la ville via les smartphones (réduction de 40 % de trafic de ville). Organiser un système d’éclairage et de sécurité centralisé.

 

 7. Célébrer la ville

Célébrer la ville chaque semaine, chaque mois et durant toute l’année, à travers une série d’événements dans les lieux de mémoire et les espaces de patrimoine : la Citadelle, le Grenier, les Casernes centrales, le Baz’art, le Théâtre, les anciennes prisons, la caserne des pompiers, le Champde-Mars… autour des  tap’az mauriciens.

 

Prenons d’assaut notre capitale, voire notre pays. Transformons-la en une vie meilleure pour la génération future. Vivre smart, c’est ça !

 

 Gaetan Siew