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Anba Larivier: les Rodriguais de l’oubli

22 février 2015, 16:29

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Anba Larivier: les Rodriguais de l’oubli

Ils vivent à Roche-Bois, une des plus grande poches de pauvreté du pays. Près d’une cinquantaine de familles rodriguaises se sont réfugiées dans cet endroit qu’ils ont baptisé Anba Larivier. Ici, les habitants n’ont ni électricité, ni eau courante. Leurs maisonnettes sont faites de frêles feuilles de tôles rouillées et de quelques poutres en bois. Pour vivre, certains habitants se sont lancés dans l’élevage. Reportage.

 

De là-haut, la vue laisse sans voix et l’odeur est infecte. Difficile d’imaginer que des gens habitent au fond ce ravin parmi les poules et les cochons. La rivière est bien cachée derrière les dizaines de cabanes en tôle entre lesquelles se baladent également des chiens.

 

Des rires d’enfants se font entendre. Pour accéder au cœur de cette cité, il faut encore descendre le long d’un sentier formé par les pas répétés des habitants eux-mêmes. Les quelques planches en bois, placées au sol pour faciliter la marche en temps de pluie, sont imbibées de boue. Des poubelles sont entassées devant les taudis.

A gauche de l’allée boueuse, une femme chétive, se tient droit tel un piquet. Les enfants de la cité l’appellent affectueusement «Mama». Cette vieille Rodriguaise dont le visage porte le poids des années et les marques de la pauvreté, répond au nom de Thérèse Augustin. Elle porte une chemise d’homme et une jupe orange. Sur la tête, une casquette camoufle ses cheveux gris tressés. Thérèse nous accueille avec le sourire avant de nous inviter à l’intérieur de sa cabane. Elle se penche légèrement pour passer la porte en bois qui mène à trois petites pièces noyées dans l’obscurité.

 

C’est là qu’elle vit avec de son fils aîné et de son petit-fils. Une bicoque frêle, sans toilettes, ni salle de bains. Pour ses besoins, il faut se rendre en face dans une pièce en tôle qui fait office de toilettes.

 

De vieux chiffons tapissent le sol pour absorber l’eau qui est entrée dans la maison. C’est avec facilité que Thérèse nous trouve une chaise dans le noir. Elle décide de laisser la porte d’entrée ouverte et elle s’assied aussi, prend une cigarette et commence à nous parler de ses journées qui se ressemblent tous.

 

«Je n’aime pas aller chez les gens sans raison. J’aime rester à l’intérieur de ma maison», dit-elle, en croisant ses maigres jambes et en soufflant une bouffée de fumée. Entre-temps, la pluie a recommencé à tomber. Instinctivement, Thérèse se munit de récipients pour cueillir l'eau et les place un peu partout dans la maison. «Quand la boue envahit la maison en temps de fortes averses, il n’y a plus rien à faire», soupire la vieille dame.

 

«Je pensais à un meilleur avenir»

Comment s’est-elle retrouvée là? Il faut remonter à plus d’une cinquantaine d’années lorsqu’elle quitte Le Chou, son village natal, pour venir vivre à Maurice. La grand-mère ne se souvient plus des dates mais se rappelle encore du sentiment qui l’animait à l’époque. Ses parents élevaient des bêtes mais Thérèse aspirait à mieux.

 

 «Je pensais à un meilleur avenir. Je me suis mariée à Maurice, avec un Rodriguais. La vie était vraiment belle avant. Elle n’était pas si chère et si difficile», raconte-elle, le regard perdu en contemplant la pluie.

 

Le plus dur reste pour Thérèse  c'est qu'à son âge elle doit, encore se rendre à la rivière pour y chercher de l’eau. Et  elle y retourne pour y faire la vaisselle et la lessive dans le courant de la journée. «Nous prenons un peu d’eau potable avec un voisin pour cuire à manger et pour boire», précise la Rodriguaise. Elle désigne du doigt la maison de son bienfaiteur qui lui fournit  de l'eau potable.

 

Il y a un peu plus de dix ans qu’elle a élu domicile à Anba Larivier, dans la bicoque laissée par une de ses nièces, également une Rodriguaise. «Mon fils est tombé malade et nous ne pouvions plus payer le loyer. Avant, mon mari était là et il travaillait comme débardeur», lâche Thérèse, à bout de souffle.

 

Une vilaine toux l’épuise depuis quelques jours. Souvent, c’est une autre de ses nièces, Marie-Danielle Bégué, qui lui rend visite. Cette mère de quatre enfants est l’une des premières Rodriguaises à avoir investi Anba Larivier.

 

Elle est arrivée à Maurice à l’âge de 14 ans pour vivre chez son frère. Une fois mariée, il y 28 ans, elle y avait fait construire une maison en tôle. A l’époque, il n’y a que cinq familles dans cette région.

 

«Au fur et à mesure, de plus en plus de Rodriguais sont arrivés. Il y a aussi quelques Mauriciens. Mais, nous n’avons jamais pu sortir d’ici», affirme cette employée d’une usine de transformation de poissons. Pourtant, Marie-Danielle Bégué, comme beaucoup d’autres habitants de Anba Larivier, n’a de cessé d’entreprendre des démarches auprès des autorités pour trouver une maison décente. Elle affirme avoir ouvert un compte pour économiser de l’argent en espérant s’acheter une maison.

 

«Nous n’avons jamais suffisamment d’argent. Nous ne gagnons pas plus de Rs 10 000 par mois, mon mari et moi, et il faut compter la nourriture et d’autres dépenses, surtout lorsqu’on prend un peu d’électricité du voisin», explique Marie-Danielle Bégué en jetant un regard à l’extérieur.

 

 

Cela fait maintenant plus d’une heure depuis que la pluie tombe sur Anba Larivier. C’est avec un air inquiet que Marie-Danielle observe le cours d’eau boueuse qui s’est formé en face de chez elle. Elle craint que l’eau ne pénètre dans son salon, comme c’est le cas à chaque grosse averse.

 

C’est en temps de pluies justement que le nom de l’endroit prend tout son sens. Les habitations se retrouvent tout de suite submergées. Les réfugiés désespèrent de ne pouvoir quitter leurs taudis.

 

Ils en ont aussi assez des promesses des politiciens qui ne leur rendent visite qu’en période électorale. A force d’être livrés à leur sort, les habitants de Anba Larivier ont fini par développer un esprit d’entraide. Les habitants y vivent comme dans une grande famille unie. Une solidarité que l’on retrouve particulièrement dans des endroits où règne une extrême pauvreté.