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Adrien Duval: «J’ai décidé de ne pas écouter mon père»

1 novembre 2014, 00:03

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Adrien Duval: «J’ai décidé de ne pas écouter mon père»

À l’entendre, l’affaire est réglée : Adrien Duval sera candidat au no17, à Curepipe-Midlands plus précisément, et tant pis si cela va à l’encontre de ce que souhaite son père... Sur ce sujet comme sur les autres, l’avocat de 24 ans se livre très librement. Au point de s’exaspérer des «animosités» et des «bisbilles» au sein de l’alliance Lepep.

 

C’est votre première interview politique ?

(Les bras croisés, une tablette sur les genoux) La première aussi longue, oui.

 

À quelle question détesteriez-vous répondre ?

Évoquer les erreurs passées de mon père, par exemple. Je suis là pour parler de moi.

 

Quand êtes-vous né à la politique ?

Il y a un an, quand j’ai rejoint le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) à mon retour d’études. L’histoire commence par un coup de téléphone. Mon père était en voyage, le lendemain de son départ l’un de ses agents m’appelle : «Ton papa m’a demandé de travailler à Quatre-Bornes, j’aimerais que tu m’aides.» J’accepte, j’enchaîne les réunions. J’étais un peu perdu au début, je ne comprenais pas l’intérêt de ma présence. Puis un dialogue s’est instauré avec les habitants, je me suis pris au jeu. On a fait ensuite appel à moi pour restructurer l’aile jeune du parti, repenser la communication, je suis entré au bureau politique. Tout est allé très vite, en fait.

 

Votre nom a-t-il facilité les choses ? 

Soyons honnêtes : oui. Le nom «Duval» m’a permis d’accéder très jeune à la «ligue nationale». Maintenant, je demande aux gens de me juger sur mes capacités. Je ne suis pas qu’un «fils de», j’ai d’autres atouts que mon nom. Une filiation, ce n’est pas une copie. Mon père appartient à la génération politique des années 80, je veux être le Duval de la nouvelle génération. Nos combats sont différents.

 

Quel est le vôtre ?

Les jeunes. La génération post-1980 a la conviction que le progrès n’est plus possible. C’est terrible. La moitié des Mauriciens ont moins de 35 ans, que leur propose-t-on? Cette question est cruciale: un pays qui ne donne pas sa place à sa jeunesse est un pays qui n’a pas d’avenir. Prenez les boards des corps parapublics, où sont les jeunes? C’est la génération invisible...

 

Où serez-vous candidat ?

(Direct) Au no 17, à Curepipe-Midlands.

 

C’était votre souhait ou celui de votre père ?

Ni l’un ni l’autre ! Voilà comment ça s’est passé. Il y a deux mois, le secrétaire général du parti a réuni un petit comité pour passer en revue la liste des candidats potentiels. À ma grande surprise, mon nom est sorti pour la circonscription n°17. J’ai d’abord dit non, je ne voulais pas être candidat, et quitte à l’être, j’aurais préféré être au n°6, à Grand-Baie–Poudre-d’Or, là où j’ai grandi. J’en ai parlé à mon père, il m’a dit de m’occuper de la circonscription n°6 et que l’on verrait plus tard la question des candidatures. Je l’ai écouté mais c’était compliqué sur le terrain. Quand vous n’êtes pas officiellement candidat, les gens vous zappent. J’ai donc dit à mon père que je voulais être ce candidat. Il était contre, il voulait que je me concentre sur ma carrière d’avocat. J’ai décidé de ne pas écouter son conseil.

 

Et aujourd’hui, il en pense quoi ? 

Je crois qu’il s’est fait à cette idée. Il a vu que j’avais la flamme.

 

La flamme du n° 17, donc...

En ce qui concerne la circonscription n°6, on m’a fait comprendre que c’était hors de question. Dommage... Pour moi, être au n°6, c’était un pied de nez aux réflexes communalistes. Ce sera donc au n°17 face à Guimbeau, Obeegadoo, Sik Yuen, du «lourd» comme on dit.

 

Ça vous fait peur ?

Pas du tout ! J’y crois dur comme fer.

 

À combien estimez-vous vos chances d’être élu ?

À 90 %.

 

L’arrogance de vos 24 printemps ? 

Je ne veux pas paraître arrogant, je constate simplement qu’il y a un ras-le-bol de Ramgoolam et Bérenger. Dans la rue et sur les réseaux sociaux, cette saturation est palpable.

 

Sauf qu’on ne vote pas avec des likes...

Non, mais les réseaux sociaux peuvent aider à renverser des gouvernements, on l’a vu lors du Printemps arabe. Oubliez les réseaux sociaux, prenez les meetings du 12 octobre. Quand je vois que la machinerie travailliste-MMM n’a pas réuni plus de monde que nous, je me dis que c’est bon signe.

 

Et si vous preniez une rouste ?

Et alors ? J’ai 24 ans, ça m’endurcirait pour la suite. J’ai dit ça à mon père, il craint qu’une défaite ne m’anéantisse... Mais bon, je ne serai pas battu, j’ai une triple motivation: combler le retard de Curepipe sur Quatre-Bornes, reconquérir une circonscription symbolique pour le PMSD et donner une leçon à Michael Sik Yuen en reprenant le siège qu’il nous a «volé».

 

Êtes-vous parti pour cinquante ans de vie politique ?

Je suis parti pour atteindre mon objectif : participer à la construction d’une île Maurice meilleure. Cela passe par la rénovation de nos institutions. Ascension sociale, méritocratie, égalité des chances : ces mots n’ont aucun sens si l’on continue à protéger la petite clique des agents politiques. J’ai vécu en Angleterre, là-bas, si tu as des compétences tout est possible. Pourquoi ce ne serait pas le cas ici ? Une île Maurice meilleure passe aussi par la préservation de notre environnement. C’est pour moi la priorité des priorités, toute une éducation est à faire. Les Mauriciens n’ont pas compris que protéger l’environnement, c’est protéger leur bien-être, l’avenir de leurs enfants et de leurs petits-enfants.

 

Qu’est-ce que cette pré-campagne vous a appris ?

J’ignorais que c’était si dur, physiquement, mentalement. Il faut se donner tout entier, tout le temps. L’autre truc qui m’a surpris, c’est l’attitude des gens. Ce qui les intéresse, c’est l’argent, le gain immédiat. L’autre jour, à Curepipe, un passant m’arrête et me dit: «Donn mwa Rs 300 000, mo pou fer twa eli.» C’est grave...

 

Que lui avez-vous répondu ?

Qu’à ce petit jeu-là, il serait perdant. Des candidats distribuent de l’argent et une fois au pouvoir, ils récupèrent dix fois plus. Voilà comment on ruine un pays. Au final, c’est le citoyen qui trinque.

 

Vous arrive-t-il de vous demander ce que vous faites dans cette galère ? 

Souvent ! C’est dur la politique. C’est épuisant une campagne. C’est usant de devoir être disponible pour tout le monde, 24 heures sur 24. J’ai une copine que je délaisse et qui le vit mal, elle n’est pas habituée à ça. Et puis, il y a beaucoup d’animosités dans notre équipe. On essaie de mélanger les jeunes et les anciens, la nouvelle et l’ancienne école. Tout le monde réclame la même part de responsabilités, c’est compliqué de partager tout ça, cela crée des bisbilles en interne. Si on se tire dans les pattes, comment on va faire ?

 

Patrick Assirvaden s’est chargé de votre bizutage. Qu’en avez-vous pensé ?

Mouais, «ti coq»... Je ne vais pas lui répondre, ce serait lui faire trop d’honneur. Ce genre d’insulte est symptomatique de notre classe politique : il suffit qu’un jeune se montre pour qu’un pseudo-ténor le dénigre. En même temps, cela démontre que j’existe à leurs yeux. Bhagwan et Bérenger, à l’époque, avaient utilisé le même vocabulaire pour dénigrer mon père. Ces gens-là ne se renouvellent pas, ils n’ont rien de neuf à proposer.

 

Parce que le PMSD impressionne qui en termes d’idées ?

Écoutez, j’ai contribué à la rédaction de notre programme. Il contient 77 pages... (on coupe)

 

Vous comptez le publier la veille des élections ?

(Gêné) Cette décision ne m’appartient pas...

 

Tous les candidats draguent la jeunesse. Vous, concrètement, vous proposez quoi ?

Une vision. Je pense que l’éducation est la base de tout. Or, tout notre système éducatif est à reformater. L’école ne peut plus se contenter d’enseigner seulement des savoirs, elle doit apprendre à rechercher de l’information en utilisant les nouvelles technologies. Distribuer des tablettes, c’est bien mais c’est insuffisant. Le Web est un outil que l’on doit savoir maîtriser dès les petites classes. Ouvrons des collèges en ligne, créons des passerelles numériques entre les universitaires et les élèves, d’autres pays le font, pourquoi pas nous ? Le savoir aujourd’hui se construit de façon collective, dynamique, les innovations naissent comme ça. Les jeunes Mauriciens le savent, ils voient bien qu’ils vivent dans un monde qui change vite, mais le pays est incapable d’accompagner ces mutations. Demain, un Mauricien doit pouvoir inventer le nouveau Facebook ou Google, c’est possible si l’on forme les jeunes à mettre à jour leurs savoirs. Et l’outil incontournable, c’est l’informatique.

 

Êtes-vous à l’aise dans cette alliance de «retraités» ?

(Silence) Écoutez, je suis persuadé que la moyenne d’âge de nos candidats sera plus faible que celle de nos adversaires.

 

S’appeler Duval, disiez-vous, a été un atout. Est-ce que ça l’a toujours été ?

Non, j’en ai parfois souffert. C’est un atout aujourd’hui en termes de visibilité. J’ai commencé la politique il y a seulement deux mois et tous les journaux parlent déjà de moi. Un atout aussi parce que j’ai été nourri au biberon politique. Depuis toujours, j’assiste aux meetings de mon père. Ma famille m’a transmis en héritage son expérience politique, je ne démarre pas de zéro. Mais il y a aussi des mauvais côtés. Être le fils d’un politicien, c’est voir son père prendre des coups. C’est dur, j’en ai souffert, on en a tous souffert. Les coups que mon père a pris, toute la famille les a encaissés.

 

De quels coups parlez-vous ?

La défaite en 2000, par exemple. J’avais dix ans, ça m’a marqué. Notre vie a changé après ça. Papa était Senior Partner à DCDM, il a lâché sa carrière pour s’engager en politique. Il s’est retrouvé sans travail, endetté jusqu’au cou. Les huit voitures dans la cour sont parties les unes après les autres. Il a fallu déménager et louer la maison de mon grand-père qui coûtait trop cher en entretien. J’ai vu mon père abattu, perdre confiance en lui à cause de ses soucis financiers. Avec mon frère, à l’école, on a été l’objet de moqueries pendant toute une année. La politique peut avoir un impact désastreux sur la vie d’une famille. Heureusement, mon père a rebondi, il a su remonter la pente. 

 

Avez-vous des souvenirs avec votre grand-père ?

Très peu. J’avais six ans quand grand-père est mort, on a vécu peu de choses ensemble. Pourtant, je me suis toujours senti proche de lui. Il faut dire que durant toute ma vie j’ai entendu parler de grand-père. Je vis dans sa maison, à Grand-Gaube, qui est habitée de sa présence. Dieu sait qu’il s’en est passé des choses dans cette maison. Ah, si les murs pouvaient parler ! (rires)

 

Votre oncle Richard s’apprêterait à déclencher une bataille légale pour récupérer cette maison...

J’ai lu ça dans la presse. Je laisse Richard et mon père, le propriétaire, se débrouiller entre eux.

 

Comme votre père, vous est-il arrivé de détester le vôtre ?

Jamais. Je crois en ce qu’il fait, je veux le voir aller plus loin, je sais qu’il en a les capacités. Si je me suis lancé en politique, c’est aussi pour l’aider à compléter ce qu’il a entamé.

 

Quel regard portez-vous sur le psychodrame qui s’est joué entre votre père et votre grand-père ?

Je n’ai pas vécu cette bagarre mais j’ai su, j’ai lu, j’ai entendu des choses. Mon frère et moi, on a cherché à comprendre. Mon père nous a toujours dit que c’est l’entourage qui a monté le truc en épingle. Je pense qu’il regrette certains propos, enfin, je ne sais pas... En tout cas, je n’ai jamais entendu papa dire du mal de grand-père.

 

Où vous voyez-vous dans trois mois ?

À l’Assemblée nationale. C’est mon but et je l’atteindrai.

 

Et dans trois ans ?

À l’Assemblée nationale... avec 3 ans d’expérience.

 

Scénario fou : vous êtes le seul élu...

Leader de l’opposition ? Non ! À 24 ans, ce n’est pas une bonne idée. J’ai déjà brûlé suffisamment d’étapes.

 

SES DATES


• 1990. Naissance à Curepipe. 

• 2008-2012. Études de droit en Angleterre.

• 2013. Entre au PMSD.

• 2014. Reçu avocat au barreau de Maurice.