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Rabatteurs: ils travaillent dans l’illégalité au service d’hommes de loi

10 août 2014, 15:10

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Rabatteurs: ils travaillent dans l’illégalité au service d’hommes de loi
Comment faire quand on cherche un homme de loi, avocat ou avoué, mais qu’on ne sait pas à quelle porte frapper? On s’adresse à des rabatteurs... S’ils sont de moins en moins nombreux à exercer, certains d’entre eux arpentent encore les rues de la capitale, à la recherche de clients pour leurs supposés patrons. L’express a rencontré ces hommes qui travaillent dans l’illégalité, dans l’ombre des hommes de loi.
 
À Port-Louis, nous approchons un premier individu: plutôt élégant, l’air affable et d’un certain âge, il porte un dossier sous le bras. Lorsqu’on l’approche en lui disant que l’on cherche un homme de loi, il semble plus qu’heureux de nous diriger vers un de ces membres de la profession légale chez qui il dit être employé. 
 
«Vini, vini, avoue ou pe rode ? Vini, mo amenn ou, ou explik li ki problem», s’empresse-t-il de dire, avant d’accélérer le pas. Quand on lui précise que le problème est d’ordre criminel, il ne se démonte pas et réplique: «Vini, mo amenn ou kot enn bon avoka. Cela fait 15 ans que je travaille ici, les avocats me connaissent bien.»
 
Aussitôt dit, aussitôt fait, on se retrouve face à un avocat. On ressort rapidement. Le rabatteur, un peu déçu, nous recommande de revenir chez cet avocat. Le rabattage, ou touting en anglais, est pourtant interdit par la loi, sous la section 16 du Law Practitioners Act. Mais à en croire les rabatteurs eux-mêmes, aussi appelés courtiers, ils n’ont jamais été inquiétés.
 
Ils ne font pas qu’aborder les gens pour les diriger vers des hommes de loi. Parfois, ce sont ceux qui ont besoin d’aide qui les approchent. Alors, les courtiers guident ces derniers et les conseillent quant aux démarches légales à suivre.
 
Le seul moyen de sanctionner ceux qui pratiquent cette activité illicite est, pour un homme de loi, de rapporter le «vol» de client à la police. Mais cela ne se fait pas toujours, comme l’explique Me Chandhayalallsing Seebaluck, Senior Attorney et président de la Law Society. Il confie que, récemment, un avoué s’est plaint du vol de ses clients par le biais d’un rabatteur. On lui a conseillé de porter plainte à la police mais, jusqu’ici, il ne l’a pas fait.
 
De toute façon, les rabatteurs sont de moins en moins nombreux, comme en témoignent deux courtiers connus dans le milieu. Ils expliquent que moins de gens se tournent vers eux pour trouver un homme de loi. «Aujourd’hui, les gens utilisent Internet. Ils n’ont pas besoin d’un intermédiaire pour contacter un avocat», souligne un rabatteur qui a 25 ans de métier. Ils déplorent que les gens ne demandent plus de l’aide comme ils le faisaient autrefois. «Nek enn fwa letan kapav gayn enn dimoun demann led», lâche-t-il.

 

Rs 200 à Rs 500 de gains

 
Combien touche un rabatteur ? Pas grand-chose, si on en croit les dires de ceux que nous avons rencontrés à Port-Louis, non loin du bâtiment Emmanuel Anquetil. Ces courtiers expliquent que tout dépend de l’homme de loi à qui le courtier ramène un client, que ce soit pour une affaire à la cour ou pour la vente d’un terrain. Car des avoués et des arpenteurs seraient aussi mêlés à ces activités. 
 
«Lorsqu’on trouve un client pour un terrain, on ne touche même pas 1 % de la vente (Ndlr : les notaires peuvent toucher 2 % de toutes les ventes qu’ils effectuent). Pli boukou kass monn gagne, c’est Rs 25 000 lor enn la vente», confie notre interlocuteur. Son confrère ajoute que la plupart du temps, ils ne touchent qu’entre Rs 200 et Rs 500. Parfois Rs 1 000, avec un peu de chance.
 
Au fil des années, la profession a évolué. Certains rabatteurs «inn vinn patron», comme l’indiquent nos interlocuteurs. Ces derniers auraient même des bureaux et y feraient prospérer leurs activités, sans aucun permis. «Eux, ils gagnent beaucoup d’argent», témoignent ceux que nous avons interrogés.
 
Me Theyvarajen Ponambalum, avoué et membre de la Law Society, condamne aussi cette pratique qui, admet-il, est en baisse depuis quelques années. «Je pense que le conseil des avoués a un rôle important pour éliminer cette pratique, déclare-t-il. Il a été proposé que les personnes employées par les hommes de loi soient enregistrées, afin de coincer les rabatteurs.»
 
Pour sa part, Me Raouf Gulbul explique que des hommes de loi paient des courtiers pour rester dans les environs de la cour afin d’attirer les clients. Si le phénomène tend à s’estomper, il existe toujours, déplore l’avocat. «Ce sont surtout les personnes vulnérables qui se font embêter par ces gens. Le courtier fait croire au client potentiel qu’il pourra l’emmener chez un avocat qui fera des miracles pour lui. Cela n’est pas forcément le cas, et en fait, le client se retrouve chez un mauvais avocat», explique-t-il.
 
Il affirme que les avocats qui ont recours à cette technique sont ceux qui n’ont pas pu faire leurs preuves. Ceux qui prouvent leur valeur en cour savent qu’ils n’auront pas de problème pour avoir des clients, estime l’avocat.