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Philippe Auclair : Écrivain, journaliste, biographe, chanteur et auteur-compositeur : «Techniquement, le Mondial 2014 était parfois médiocre »

21 juillet 2014, 17:25

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Philippe Auclair : Écrivain, journaliste, biographe, chanteur et auteur-compositeur : «Techniquement, le Mondial 2014 était parfois médiocre »
Il téléphone à Roberto Martinez, entraîneur d’Everton pour confirmer une analyse tactique qu’il a faite et va parfois boire un café avec Robert Pires. Le football inonde son quotidien entre des articles pour «France Football», «Eurosport» ou pour des sites anglais qu’il a créés avec des amis. Le Français Philippe Auclair, notre correspondant Premier League pour «l’express-dimanche», est un spécialiste du football et dit les vérités en nageant parfois à contre-courant. En vacances à Maurice, il dresse un bilan du Mondial 2014 en bousculant les idées reçues. Coup franc !
 
■ Y a-t-il une raison précise, autre que l’aspect environnement et climat, dans le succès des pays d’Amérique latine au dernier Mondial ?
– Très bonne question, sauf qu’ils n’ont pas gagné (rires)…Je trouve qu’on a tendance à exagérer cette importance du climat. La plupart de ces joueurs sud-américains ou d’Amérique centrale jouent en Europe ou en MLS (Ndlr : Major League Soccer aux Etats-Unis). D’autre part, le climat du Brésil n’est pas uniforme. À Manaus, il faisait très chaud alors que dans le sud, on gelait. 
 
Par contre, j’ai trouvé les terrains de très mauvaise qualité ne facilitant pas les footballeurs techniques.
 
Il y a un facteur non footballistique et tout bête qui joue sur deux plans : d’une part quand on voit le nombre de supporters qui se sont déplacés, Colombiens, Mexicains et Argentins et également le fait de jouer pour sa sélection, cela a un côté émotionnel qui a visiblement plus d’importance pour les joueurs sud-américains et d’Amérique centrale que pour les Européens, sans dire que ces derniers n’ont pas l’amour du maillot. Il y a des joueurs comme Rafael Marquez (Mexique), Yepes (Colombie), même Alexis Sanchez (Chili), ou Gary Medel (Chili), qui, lui, est un bon joueur de Premier League (à Cardiff) et il se retrouve possiblement dans la peau d’un défenseur du XI final du Mondial. Hallucinant ! Ces joueurs ont un lien culturel avec l’équipe nationale et ils ont une capacité à se transcender. Ce n’est pas la passion folle et destructrice du Brésil qui fait que les joueurs fondent sous le poids émotionnel. Pour ces Sud-Américains, c’est comme prendre un produit dopant. Quand on voit les Chiliens, on se pose la question par moment (rires)…
 
■ Il y a pas mal de gens qui pensent que c’est la meilleure Coupe du monde…
– Je ne suis pas d’accord du tout. Elle a été passionnante sur le point de vue de l’émotion. On a vu quelques matchs de haute volée, on a vu des buts magnifiques, beaucoup dans la phase de groupe, mais ça a chuté à partir des huitièmes.
 
On a vu des individualités qui étaient au rendez-vous comme la révélation James Rodriguez. Mais au niveau des grands matchs, techniquement j’ai trouvé que c’était parfois médiocre. Par exemple, l’équipe des Pays-Bas est allée loin dans la compétition, mais, techniquement parlant, c’est médiocre.
 
Par moments, je me disais que si on ôtait leur maillot et on leur donnait un maillot de Leicester City ou Nottingham Forest, ce serait pareil. La plus grande Coupe du monde, techniquement parlant c’est 1982. Or, 2014 n’arrive pas à la cheville de 1982. Le niveau de Brésil – Italie, Italie – Allemagne, France – Allemagne est à des années lumières.
 
■ C’est dû à quoi ce fossé ?
– Je sais que je vais me faire tuer en disant ça, mais il n’y a plus de défense. On a complètement oublié de défendre. Pour moi, les meilleurs défenseurs du tournoi, c’est Marquez, Yepes, soit des gens qui ont 35 et 36 ans ! C’est une des raisons pour lesquelles on a vu les gardiens de but se distinguer autant, pour compenser des erreurs de placement vraiment consternantes. 
 
Le nombre de buts marqués sur corner est hallucinant à ce niveau-là. Le but de Thomas Müller contre le Brésil par exemple, on n’est pas au niveau huitième division, mais au niveau pupille ! Le mec, moi je le sors tout de suite. Défensivement, cela a été catastrophique mais ça a été compensé par des joueurs qui ont fait le boulot offensivement.
 
J’aurais espéré que la Colombie aille au bout. De toutes les équipes, c’est celle qui m’a le plus séduit dans tous les aspects du jeu.
 
■ En plus sans son meilleur joueur Falcao…
– Oui, mais parfois ça profite. Je pense que l’absence de Ribéry en a profité à la France. On n’est plus omnibulé par le fait de souvent lui passer le ballon. La présence d’un Ronaldo a peutêtre embêté les Portugais. Pour le Brésil, on a vu la Neymardépendance, qui relevait plus du domaine de la psychiatrie. David Luiz qui tient le maillot de Neymar en larmes, c’est n’importe quoi.
 
■ Messi, meilleur joueur du Mondial, vous signez ?
– Ça c’est une plaisanterie. Je pense que tout le monde est d’accord y compris Lionel Messi. Il y a un gros problème de décalage entre l’image de meilleur joueur du monde et ce qu’il fait depuis un an et demi. On est dans un système de starisation. On continue de parler de Messi et de Ronaldo comme meilleurs joueurs du monde alors que ce n’est évidemment pas le cas, certainement pas au bout de cette Coupe du monde.
 
■ Qui le méritait alors ?
– Arjen Robben peut-être. Personnage détestable mais plus pour la régularité de ses performances. Sinon nécessairement un Allemand dans la triplette Lahm, Neuer, Müller. Philippe Lahm est peut-être le meilleur footballeur de la planète. Vous pouvez le mettre partout, il sera fabuleux. Dans le football, il n’y a plus de latéraux qui savent défendre. Il peut faire les deux. Il peut jouer à gauche, il peut jouer à droite. Il peut jouer milieu de terrain. Il peut jouer libero. Il peut jouer n°6, n° 8. Il pourrait même jouer n° 10. C’est un monstre.
 
■ Pourquoi ne pas sacrer un gardien d’après-vous ?
– Je ne sais pas ! Je ne l’ai jamais compris. Je voulais qu’Iker Casillas soit Ballon d’Or en 2012. Je pense que cette année ça ira à un Allemand. C’est impossible autrement. Je fais partie du jury de journalistes qui avait choisi Wesley Sneijder en 2010. Il ne s’était pas trompé. Le jury de journalistes choisit toujours le bon joueur, c’est son boulot. L’idée que les entraîneurs et les footballeurs connaissent quoi que ce soit au football est un mythe. Les capitaines d’équipes nationales ne connaissent rien au football on dirait. Pourquoi ils le connaîtraient ? Ce n’est pas leur job. C’est notre job à nous de suivre le football global.
 
L’entraîneur et le capitaine du Samoa Américain ont le même droit de vote que Luis Van Gaal ou Iker Casillas ! Ça me surprend un peu. C’est une pantalonnade bizarre…
 
Les gens ont même dit que c’était un complot Adidas en prenant comme exemple les trois derniers vainqueurs. Sauf qu’en 2010, cela avait été Iker Casillas meilleur gardien, Diego Forlan meilleur joueur et Thomas Müller, meilleur jeune et il n’y avait pas trop de controverses à l’époque sur le fait qu’ils étaient tous les trois joueurs Adidas.
 
■ L’Espagne qui sort au premier tour
– Je l’avais prédit…
 
■ …et laminée 5-1 d’entrée ?
– Ça, je ne l’avais pas prédit. On était nombreux à dire que ce groupe était effrayant. L’Espagne avait le lourd handicap des joueurs qui sortaient d’une saison qui se terminait quasiment à la veille de la Coupe du monde.
 
Il se bagarre jusqu’à la fin pour la Liga, pour la Ligue des champions et l’Europa League. C’est une implosion. Tous les matchs qui se terminent par un score fleuve sont des matchs où il se passe quelque chose d’anormal. Une grande équipe ne perd pas 5-1, pas 6-3 pas 7-1 ! En première période, les Espagnols dominent très largement les Pays-Bas et ils pouvaient même mener 3-0. Ensuite, il y a l’égalisation miraculeuse de Van Persie et dès que cela passe à 2-1 pour les Pays-Bas, il y a un truc qui pète. Ça peut être physique. Comme ce pauvre Sergio Ramos. Il court toujours…
 
■ Pas aussi vite que Robben…
– Il ne l’a toujours pas rattrapé (rires). C’est comme un coureur cycliste dans un col qui a un coup de fringale et qui s’arrête (silence). C’est triste ce qui est arrivé à l’Espagne. C’est une défaite qui n’a fait plaisir à personne.
 
■ Est-ce possible de reconstruire une équipe après cela ?
– Oui, ils ont tout ce qu’il faut. Il n’y a aucun problème. Il y a plein de jeunes derrière. Ils seront bien là pour l’Euro 2016. Del Bosque (Ndlr : l’entraîneur de l’Espagne) a fait preuve de beaucoup de fidélité auprès de ses joueurs. Il aurait peut-être fallu qu’il en choisisse d’autres qui étaient plus frais. En plus, ce qu’on a vu avec les clubs espagnols en Europe la saison dernière, on ne le reverra pas. J’en mets ma main au feu.
 
■ Et pour l’équipe d’Angleterre on dit toujours qu’elle souffre des étrangers qui prennent de la place dans les équipes de Premier League. C’est la cause de son élimination ?
– Il y a une statistique que j’aime bien citer, c’est le nombre de victoires avant la création de la Premier League et après. Vingt ans avant et vingt ans après, il y a presque le même nombre de victoires, 140 contre 141. L’Angleterre se maintient au même niveau international, de 1972 à 2014. Et en 1972, je vous rappelle que Bobby Charlton était toujours en activité.
 
Durant cette période, on va avoir la grande équipe de Liverpool, qui au départ, est une équipe à consonance anglaise. On voit une équipe qui ne se qualifie pas pour les grands tournois, mais à l’époque personne ne remettait cela en question. On dit que l’Angleterre est sous performante. C’est un pays de 45 à 50 millions d’habitants qui est à son niveau. Pour moi, c’est une équipe en devenir même si au niveau de la défense je me pose quelques questions. Les latéraux sont là mais en défense centrale, c’est un peu juste. Le fait est que Cahill et Jagielka sont indiscutables. Phil Jones, j’en attendais énormément mais on ne le fait jamais jouer à son poste : arrièrecentral.
 
■ L’équipe de France s’est-elle rachetée auprès de ses supporters ?
– Elle a fait le boulot. Contrat rempli, après Knysna et l’épisode du bus. Ma prédiction c’était le quart de finale. L’objectif, c’était plus que les gens soient derrière elle. Quand on voit l’état dans lequel elle était il y a un an de cela, c’est un petit miracle. Et elle le fait avec un Benzema qui fait deux matchs corrects et qui disparaît…mais franchement qu’est-ce qu’il a dans le crâne ce mec ?!
 
Contre l’Allemagne, il y a quand même des motifs de regrets. L’équipe commence avec le frein à main, qui passe au point mort, puis la première, et puis il ne manquait pas grandchose parce qu’il y avait des occasions.
 
■ Peut-on s’attendre, justement, à une finale Allemagne – France à l’Euro 2016 ?
– Pourquoi pas. L’équipe d’Allemagne continue à progresser. Hélas pour nous. (Rires) Pour l’équipe de France, il y a de la relève qui arrive. J’attends beaucoup du petit Digne (Ndlr : Lucas au PSG). Peut-être enfin que Benzema sera devenu Benzema. Côté défense, on est blindé. Mangala, Sakho, Varane, Koscielny, c’est sans doute le meilleur groupe de défenseurs centraux de toutes les équipes du Mondial. On a un excellent gardien. Il manque peut-être le patron, comme Deschamps ou Laurent Blanc. Matuidi peut-être.
 
■ La Coupe du monde au Qatar en 2022, vous y croyez ou va-t-on vers une réattribution?
– C’est tout à fait possible. J’ai fait énormément de travail sur la question, pas nécessairement au goût des organisateurs qataris. Le but, ce n’est pas de faire retirer la Coupe du monde au Qatar mais d’exposer ce qui s’est passé à la FIFA. Il y a une triple tenaille dans laquelle il est difficile pour le Qatar de se dégager. Il y a le rapport à venir de Michael Garcia (Ndlr : ex-procureur américain qui livrera les conclusions de son enquête sur l’attribution des Mondiaux 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar) qui l’a sans doute passé très discrètement au juge Hans-Joachim Eckert. Ce n’est pas forcément un bon signe pour le Qatar.
 
Il y a, ensuite, le problème de la faisabilité de la Coupe du monde. Tout le monde est d’accord pour dire que c’est impossible de jouer en été. Ceci dit, dans le cahier des charges, cela se joue en juin et juillet, point barre ! Il n’est pas acquis que la commission chargée par la Fifa pour le changement de date, dise oui et que ce soit nécessaire. C’est plus compliqué que cela.
 
C’est tout le calendrier du football mondial qui sera chamboulé pour trois saisons et cela ne touche pas que la Premier League. En changeant de calendrier, on force toutes les épreuves continentales à changer également. Il y a également le droit des travailleurs. Tant que les Qataris n’ont pas fait les choix politiques et sociaux difficiles à faire pour eux, il y aura même la question de boycott.
 
Je vois mal comment la FIFA pourrait ne pas remettre en question le Qatar, sous peine de perdre le tout petit peu de crédibilité qu’il lui reste.