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Données biométriques: la Data Protection Commissioner à la tribune des contestataires

8 juillet 2014, 16:16

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Données biométriques: la Data Protection Commissioner à la tribune des contestataires

«Non a kontrol leta ek patron lor lekor ek liberte sitwayen!» L’intitulé de la conférence organisée par la Koalisyon nou lanprint nou drwa ce mardi 8 juillet, à Bell-Village, ne laisse pas de doute sur les objectifs de ses membres. Plusieurs intervenants ont pris la parole devant une petite foule au Rajiv Gandhi Centre : syndicalistes, citoyens engagés et spécialistes se sont succédé à la tribune pour dénoncer la récolte de données privées, et pas seulement dans le cadre de la nouvelle carte d’identité.

 

L’intervention la plus longue et la plus intéressante fut sans doute celle de la Data Protection Commissioner, Drudeisha Madhub, invitée par la Koalisyon à expliquer dans les grandes lignes les objectifs et les tâches de son bureau. «L’une des fonctions les plus essentielles du Data Protection Office(DPO) est de sensibiliser la population à nos obligations légales. Je réponds donc toujours oui à l’appel des gens qui désirent en savoir plus à ce sujet», a-t-elle indiqué en préambule.

 

Après avoir fait un rapide historique du DPO et donné des précisions sur le fonctionnement de cet organisme étatique qui tombe sous la coupe du Prime Minister’s Office (PMO), elle est entrée dans le vif du sujet, expliquant dans quel contexte la récolte de données privées et biométriques est illégale. Revenant sur plusieurs des précédents jugements rendus par le DPO, elle a affirmé que l’on ne peut forcer un citoyen à dévoiler ou donner des données personnelles (données biométriques incluses) sans son consentement.

 

«Ce consentement peut être verbal, mais il est préférable qu’il soit par écrit pour qu’il soit valable devant une cour de justice», a-t-elle indiqué. Ce qui signifie que toute récolte de données biométriques sur le lieu du travail pour des besoins de décompte des heures de présence est illégale si l’employé n’a pas expressément consenti à le faire ou si son contrat de travail n’en fait pas mention. Les données doivent aussi être fiables, et ne pas être utilisées pour une raison autre que celle pour laquelle elles ont été obtenues.

 

Le consentement n’est pas obligatoire dans plusieurs cas : s’il est d’intérêt général que les données soient récoltées, s’il s’agit d’une question de sécurité nationale, ou encore si cette récolte est prévue par la loi. C’est dans ce dernier contexte que la carte d’identité biométrique est incluse, car elle est prévue par la Mauritius National Identity Card (MNIC)Act. «L’intérêt public n’étant pas défini par la loi, nous devons nous fier à différents jugements rendus précédemment pour en connaître les limites», a affirmé Drudeisha Madhub. De plus, l’aspect «sécurité nationale» est parfois utilisé de manière abusive, a confié la DPC. Si tel est le cas, le DPO a le droit d’enquêter pour déterminer si cela est justifié ou non.

 

Par ailleurs, Drudeisha Madhub a précisé que l'aticle 12 de la MNIC Act prévoit que «la collection et l’utilisation des données relèvent de la Data Protection Act». La Commissioner n’a toutefois pas voulu élaborer sur la carte d’identité biométrique, préférant attendre le jugement de la Cour suprême pour savoir si cette initiative gouvernementale est conforme à la Constitution.

 

Les autres intervenants de cette conférence se sont attelés à démontrer que la récolte de données biométriques n’est pas nécessaire et qu’elle est contraire aux droits humains. Ish Sookun, ingénieur informatique, a consacré son temps de parole à expliquer les failles de sécurité sur les sites gouvernementaux, dont celui du MNIC. «Si les sites du gouvernement ne sont pas sécurisés, comment être sûr que les données biométriques le seront ?» s’est-il demandé. Il a aussi regretté que les autorités n’aient pas rendu publique une étude sécuritaire sur la conservation de ces données réalisée par PriceWaterhouse Coopers (selon les dires du ministre des TIC).

 

De son côté, Neelkant Dulloo, un avocat qui fait partie des citoyens ayant déposé une plainte contre l’utilisation de données biométriques pour la carte d’identité, a confié ses craintes par rapport à l’utilisation future de ces cartes. «Pourquoi a-t-on besoin de nos empreintes et de les entrer dans un centre de données ?»Réagissant à une déclaration du Premier ministre, qui avait indiqué que la carte serait utilisée pour des besoins de «e-governement», l’homme de loi a conclu qu’il s’agirait d’un «passe-partout» qui pourrait servir à prendre le bus, acheter des médicaments, aller à l’hôpital, etc. «Je pense qu’il y a un but sécuritaire derrière tout ça», a affirmé Neelkant Dulloo.

 

Alors que Serge Jauffret a récapitulé la lutte des travailleurs de l’industrie sucrière pour que leurs employeurs arrêtent de prendre leur présence à travers leurs empreintes digitales, Stefan Gua s’est inquiété du «marché de la peur» qui s’est globalisé depuis les événements du 11 septembre 2001.

 

Le Dr Rajah Mahadeo, lui, a  fait une rapide intervention, soutenant qu’un seul pays au monde a une carte d’identité biométrique semblable à celle de Maurice : «la Chine communiste». Il a  affirmé que grâce à cette carte, les autorités pourront retracer tous les déplacements d’un individu, ce qui fait qu’il n’aura plus de liberté de mouvement.

 

Concluant cette conférence, Ashok Subron a affirmé que le but de la Koalisyon, qui réunit la General Workers Federation et d’autres syndicats, mais aussi le Center for Alternative Research and Studies (CARES), Rezistans ek Alternativ et divers mouvements citoyens, est d’apporter plus de force aux combats déjà menés contre la carte d’identité biométrique, mais aussi contre les abus par rapport aux caméras de sécurité ou aux empreintes sur le lieu du travail. Des lettres au Premier ministre et au ministre du Travail ont été envoyées, et une campagne d’affichage de banderoles nationale a été lancée.

 

La Koalisyon prépare aussi une grève nationale sur tous les lieux de travail où les employés doivent marquer leur présence avec leurs données biométriques. «Nous choisirons un jour pour appeler les travailleurs à ne pas donner leurs empreintes», a prévenu le porte-parole de Rezistans ek Alternativ. Enfin, le mouvement se prépare à d’éventuels combats judiciaires contre l’Etat si des personnes n’ayant pas donné leurs empreintes avant le 16 septembre se voient refuser l’accès à tout service gouvernemental pour cette raison.